Le
scandale des lasagnes de bœuf à la viande de cheval en Europe, le soi-disant
« horsegate » britannique, a soulevé l’indignation des consommateurs
et a ramené à l’avant-plan les dérives bien connues de l’industrie alimentaire.
Rajouté aux crises récentes comme celles de la vache folle, du poulet aux
dioxines, du bœuf aux hormones, des pesticides et des OGM (Organismes
Génétiquement Modifiés), il est facile de comprendre les inquiétudes de tout un
chacun vis-à-vis de l’alimentation moderne. Le discours autour de la
consommation de viande et surtout de produits carnés frauduleux, chevalins ou
autre, nous aidera à situer la problématique de la viande cultivée en laboratoire
dans un contexte d’insécurité alimentaire et de logique industrielle de
production qui met non seulement les consommateurs en danger, mais qui se livre
à des méthodes de fabrication de plus en plus « dénaturées » pour
contrôler le risque sanitaire. Ces crises à répétition font ressortir plusieurs
thèmes, notamment celui de la place du corps animal dans l’économie alimentaire
mondiale et celui des technosciences dans la transformation de l’industrie de
la viande. C’est en nous inspirant des concepts de « distanciation de l’animal », de « désanimalisation »,
de « référent absent » et de « biomédicalisation » de la
viande, dans une perspective écoféministe et sociologique, que nous tenterons d’analyser
les projets de viande cultivée en laboratoire, projets visant à reproduire in vitro des morceaux d’animaux
consommables. Car derrière ces innovations biotechnologiques et biomédicales quel animal cache la culture tissulaire ? Et
surtout quelle société se profile à travers de tels projets ?
La
viande in vitro et le marché de la viande
Souvent
présentées comme l’avenir de la médecine, les cellules souches sont déjà à la
base de traitements et de plusieurs thérapies cellulaires, notamment dans le
cas de certaines leucémies. Plusieurs types de cellules souches sont capables
de se diviser et de se différencier à différents degrés afin d’engendrer des
tissus comme la peau. L’intérêt de ces cellules est de pouvoir réparer ou
régénérer des organes ou des tissus qui pourraient être transplantés
directement chez un patient évitant ainsi de recourir à des greffes d’organes.
Dans le domaine agroalimentaire, l’utilisation des cellules souches sert à
produire de la viande sans bétail, c’est-à-dire sans animaux d’élevage. Les
techniques du génie tissulaire permettent de prélever quelques cellules d’animaux
donneurs pour fabriquer des morceaux de viande in vitro. Les avancées scientifiques de la dernière décennie dans
le domaine biomédical, avec le développement de systèmes de muscles bioartificiels
(BAM), ont rendu possible la génération de tissus musculaires de type
squelettique à partir de cellules souches. Cette technologie, bien que destinée
à la transplantation de tissus chez l’humain, s’est faite à partir de cellules
souches embryonnaires d’origine animale. Ce qui a permis aux chercheurs de
penser que les organes et tissus bioartificiels avaient le potentiel de devenir
des sources de protéines animales importantes même si nous n’en sommes pas
encore à un stade avancé de la reproduction de formes et de textures qui
ressembleraient à ce que l’on pourrait appeler de la viande ni à une production
efficace.
Le cas
de la filière viande en Europe et de ses systèmes de sous-traitance
transnationaux nous amène à un constat alarmant : les pratiques d’élevage
et d’abattage des animaux imposées par l’industrie et les gouvernements sont
mal encadrées pour ne pas dire pas encadrées du tout. Les derniers scandales
agroalimentaires révèlent toute la complexité du commerce de la viande, mais
aussi les pratiques illégales auxquelles les intermédiaires et revendeurs se
prêtent pour maintenir les prix les plus bas. Par ailleurs, la technologie
permet d’extraire plus de viande de chaque animal abattu, si bien que malgré
une diminution de la taille du cheptel bovin, les États-Unis produisent plus de
viande de bœuf aujourd’hui que dans les années soixante-dix [1].
On voit donc comment les logiques de rentabilité structurent le marché
international de la viande. Il est alors plus facile de comprendre comment les
morceaux de moindre qualité et les sous-produits animaux finissent dans nos
assiettes, d’autant plus que la dégradation sociale résultant de crises
économiques successives et de récessions multiples donne naissance à une classe
de consommateurs de plus en plus précarisée, réduite à rechercher par nécessité
les produits les plus accessibles économiquement.
La
fraude alimentaire sert donc à garder les prix bas grâce aux sous-produits et
aux espèces animales « exotiques » qui sont utilisées pour
reconstituer des lasagnes ou autres plats préparés. Mais les enjeux de la
viande « contaminée » vont au-delà du danger sanitaire, car la fraude
alimentaire dérobe aux consommateurs le droit de savoir ce qu’ils mangent. Le
système alimentaire conventionnel devient ainsi source de méfiance permanente
et de risques, et les autorités sanitaires semblent réduire les moyens de les
déceler. Au-delà des inquiétudes et des problèmes sanitaires que ces viandes
suscitent en Europe et ailleurs dans le monde, on peut se demander en quoi ce
type de criminalité est un indicateur des failles dans la chaîne alimentaire de
nos sociétés modernes, s’exerçant malgré de nombreux dispositifs mis en place pour
assurer la traçabilité des aliments ? N’oublions pas que le scandale du « horsegate »
a touché quinze pays, dont la Russie, et certains pays d’Asie. Mais pourquoi
ces fraudes alimentaires se multiplient-elles ? Serions-nous à l’aube d’une
nouvelle catégorie de crimes ? Ce que le quotidien The Guardian appelle les « meat-related offences » [2]
va en effet bien plus loin que la simple fraude alimentaire quant à la « loyauté
des produits » ou le faux étiquetage. L’Union Européenne et la Chine
proposent ainsi d’alourdir les sanctions autour des cas les plus graves. Dans
le cas de la Chine, la peine de mort est une option pour les individus accusés.
Sans aller jusque-là, comment décourager ces fraudes d’envergure internationale ?
La viande in vitro serait-elle une
réponse à ces questions et aux problèmes éthiques et normatifs qu’elles
soulèvent ?
Les coûts
réels de la viande
Il
semblerait que dans les pays comme l’Angleterre la part des revenus des ménages
dédiée à l’alimentation ne cesse de diminuer. En 1950, les dépenses alimentaires
représentaient 25 % du budget en fonction du revenu familial. Les Britanniques
dépensent aujourd’hui moins de 10 % de leurs revenus pour l’alimentation
et la boisson, le taux le plus bas de l’Union Européenne. La moyenne du budget
en alimentation est d’environ 7 % pour les États-Unis, 13 % pour la
France et 30 % pour la Roumanie, selon les statistiques du Département
Américain de l’Agriculture [3].
Dans les pays en voie de développement, il n’est pas rare que les ménages
consacrent plus de 50 % du revenu familial en nourriture. L’envolée
soudaine des prix des céréales et des oléagineux en 2005-2008 démontre à quel
point l’insécurité alimentaire, sans doute aggravée par l’intérêt des
spéculateurs pour les marchés de produits agricoles, affecte les pays les plus
pauvres qui doivent consacrer une part de plus en plus importante de leurs
revenus pour se nourrir. Selon l’OCDE, la crise alimentaire de 2005-2008 aurait
précipité l’augmentation des prix des productions végétales dans les pays
développés et malgré une pression inflationniste généralisée les produits à
base de viande n’auraient pas, quant à eux, subi de hausses importantes durant
cette même période [4].
Cela expliquerait la demande mondiale en produits carnés qui ne cesse d’augmenter,
notamment dans les pays émergents comme la Chine où la transition démographique
est importante et précipite des changements alimentaires majeurs, en
particulier vers les protéines animales.
Revenons
aux lasagnes de bœuf « contaminées » : le produit se vendait à 1£,
29 au Royaume-Uni, soit moins de 2 € pour une barquette. Comment s’attendre
à de la nourriture de qualité à un prix si bas ? Les consommateurs loin d’être
ignorants sont confrontés à des réalités économiques qui rendent les finances
quotidiennes compliquées et forcent l’achat de produits moins chers. D’où le
paradoxe de vouloir manger toujours moins cher, tout en exigeant des produits
de qualité ; il s’en suit alors nécessairement une crise du système
alimentaire [5].
De l’animal
à la viande
De l’élevage
industriel à l’abattoir, de l’usine de transformation et d’entreposage, du
camion réfrigéré au supermarché jusqu’à nos assiettes, le sort des animaux de
ferme nous aide à penser ce qui fait le propre de l’humain et de l’animal. Définir
certains termes, nous permettra de mieux cerner la signification de la viande
« désincarnée » et de comprendre les mutations culturelles qui entraînent
sa création. En premier lieu, la viande in
vitro signale la genèse de l’animal postmoderne, « sujet »
historique détaché de son identité animale, mais produit de nos sociétés
industrielles avancées. Lorsque nous parlons de viande in vitro, il n’est pas question de substituts ou d’imitations de
viande faits de protéines végétales comme le soja ou le maïs qui tentent de
reproduire la texture, le goût et l’apparence de la viande. Il n’est pas non
plus question de viande provenant d’animaux clonés, pratique courante aux États-Unis
pour assurer la salubrité et l’homogénéité des produits carnés. À la différence
de la viande cultivée en laboratoire, la viande clonée, elle aussi issue de la
technoscience, part d’une cellule pour reconstituer l’animal entier ; cet
animal cloné, à la manière de la brebis Dolly, sera alors élevé et abattu pour
sa chair. C’est un autre aspect important du système industriel agroalimentaire
qui est en jeu : le contrôle de la reproduction biologique animale par la
technoscience, et en l’occurrence, la reproduction asexuée.
La
viande in vitro est, quant à elle, un
projet technoscientifique international qui vise à produire de la « viande »
à partir de cellules souches cultivées en laboratoire. C’est la rencontre de
deux mondes : celui de l’alimentation et de la médecine régénératrice, à
travers la désincarnation du corps animal et la reconstitution de chair « vivante »
dans un bioréacteur. Ce sont aussi les mondes animaux et humains qui sont
confrontés, la viande in vitro étant
une création humaine et non de la nature.
Les transgressions relatives à l’apparence du corps
animal devenu viande reviennent à des transgressions quant à la nature animale,
à sa distanciation vis-à-vis de la nature humaine. Le consommateur se trouve
aujourd’hui face à une tension inhérente au système alimentaire moderne :
en voulant savoir ce que contiennent les produits carnés qu’il achète, il est
confronté à la réalité du statut des animaux qu’il mange et il est forcé de se
réconcilier avec une certaine logique de domination spéciste de la nature. À
force de vouloir occulter le corps animal ou ce qui pourrait rappeler la forme
vivante et par extension le corps humain, la viande est en effet devenue
méconnaissable par son apparence, sa texture et son goût, sujette par
conséquent à différents types de fabrications chimiques, de mélanges
artificiels pouvant résulter d’agrégats d’animaux variés. La catégorie « viande »
est alors soumise à des redéfinitions et des glissements sémantiques qui
détournent du corps de l’animal vital vers des substances animales inertes,
reconstituées « en minerai de viande » [6].
Si la viande sert à la vie, le système agro-industriel
est par contre une vaste entreprise de mise à mort des animaux transformés et
réduits en machines de plus en plus performantes [7].
Cela nous amène à la
viande in vitro, cultivée en
laboratoire, qui pousse l’abstraction de la forme animale à son paroxysme, car
cette méthode de production est actuellement explorée pour pallier les conséquences
néfastes pour l’environnement et la santé du système alimentaire industriel. La
viande in vitro est vantée pour sa
valeur nutritive, elle est manipulable, saine et écologique, car elle pollue
moins que la viande animale et utilise moins de terres que le bétail. Elle
remplirait aussi une fonction éthique, car elle sauverait des millions de bêtes
d’élevage d’un destin cruel et d’une existence misérable, mais elle changerait aussi
le rapport que nous entretenons avec ces animaux.
Alors,
que penser de la viande corrompue et de son rapport à la corporalité animale ?
La viande in vitro est-elle la
conséquence logique du progrès de nos sociétés modernes en matière de
responsabilité éthique et écologique envers les animaux ? On peut aussi se
questionner sur l’avènement de cette viande postmoderne, la viande in vitro, et se demander si ce système
de production représente bien une rupture avec le système d’élevage intensif
des animaux. Et enfin, comment comprendre les transformations industrielles de
la viande et leur rapport avec la biomédecine ou la médecine régénératrice ?
Penser
les liens entre les humains et les animaux
Ma
réflexion s’ancre dans une perspective écoféministe et sociologique. Les
analyses écologiques sont multiples et variées et raisonnent sur l’utilisation durable
des ressources naturelles (eau, énergie, sols) dans la production de la viande
industrielle, sur l’organisation mondiale des régimes agroalimentaires, sur la
crise de la ruralité et les changements climatiques en général [8].
Cette approche remet en question les pratiques alimentaires éco-destructrices
et place les mérites du végétarisme au cœur de sa critique. Le courant
écoféministe part, quant à lui, du constat écologique, mais il se fonde sur l’analyse
du processus de coformation des rapports sociaux de sexe, de classe, de race et
d’espèces et il se distingue des autres courants féministes en donnant à l’animal
une place centrale dans la critique de l’anthropocentrisme. L’approche
écoféministe combine des analyses critiques du concept d’humain et de son
rapport avec la nature. Selon des auteurs comme Val Plumwood, le concept d’humain
est normatif et implique par définition l’exclusion et l’infériorisation tacite
de la nature et des espèces non-humaines [9].
L’attrait de l’approche écoféministe réside aussi dans une lecture croisée de
la domination de la nature et d’autres formes d’oppression sociales : ainsi,
le fait de noter les parallèles entre la place historique des animaux et des
femmes comme propriétés de l’homme, et leur place actuelle du « mauvais
côté » du capitalisme moderne, offre un angle d’analyse original. Pour
Carol J. Adams, la valeur des animaux d’élevage dans notre culture occidentale
se réduit à leurs parties « consommables » (tissus musculaires,
abats, etc.) [10].
Ce phénomène se reproduit dans la manière dont sont traitées les femmes dans la
publicité et la pornographie ; leurs corps sont fragmentés et démembrés
(en seins, fesses, sexe et cuisses par exemple) et réduits à de simples « produits
consommables » [11].
La
notion de référent absent (n’ayant
pas d’existence physique) est un aspect important des travaux de Carol J.
Adams, qui étudie la relation entre le patriarcat, la virilité et la
consommation de produits carnés. Ce concept – qui décrit la séparation du mangeur
de viande et de l’animal, et de l’animal et du produit final – nous
servira à comprendre les enjeux de la viande in vitro en relation avec les animaux d’élevage [12].
L’animal devient absent quand on se réfère à la viande. Selon Adams, les mêmes
idées qui structurent le référent absent et qui contribuent à la domination des
animaux par les hommes renforcent l’exploitation des femmes et des populations
marginalisées. L’absence du référent nous empêche de faire des liens entre les
systèmes qui oppriment les femmes ou les animaux. Manger ou ne pas manger un aliment n’est donc pas qu’un
choix individuel, c’est aussi une affaire de culture et de pouvoir. La
consommation de viande fait alors partie du processus de construction du genre.
Ainsi, selon une étude menée par Sylvie Rousset et divers auteurs, les femmes
associent la consommation de viande aux « travailleurs
de force » et lorsqu’elles mangent seules, elles tendent à réduire ou bien
même à supprimer la viande du repas [13].
Il en est de même pour les privations en viande qui sont caractéristiques de l’anorexie,
trouble alimentaire lié à des troubles de l’image corporelle, affectant surtout
les femmes.
La
consommation de viande et l’objectivation des femmes relèvent alors du même
procédé de « camouflage ». L’invisibilisation de la catégorie
dominante, si omniprésente qu’elle en devient absente, renvoie ainsi à l’individualité
de l’animal abattu ou de la femme violée, les privant de leur pouvoir collectif,
donc de leur liberté de choix individuel. Dans ce contexte, inutile de remettre
en cause les prémisses hétéro normatives de la domination patriarcale. En
mettant ainsi en relation la domination des hommes sur les femmes et celle des
humains sur la nature, l’écoféminisme, à travers la notion de référent absent, rend
visibles les pratiques invisibles de l’agriculture intensive et les techniques
de dénaturation du vivant qui s’opèrent sur les corps animaux. La relation
entre le langage et les appellations que l’on donne aux animaux lors de leur
mise à mort est en ce sens intéressante, car elle contribue à la négation de l’animal,
évoquant bien le concept de référent absent [14].
Les
politiques sexuelles liées à la viande passent aussi par une exploitation
spécifique des corps femelles animaux [15].
La grande majorité des animaux d’élevage sont des femelles reproductrices dont
les paramètres du cycle reproductif sont contrôlés dans une logique de
maximisation par des techniques de sélection génétique, des produits
pharmaceutiques (hormones et médicaments de synthèse, antibiotiques liés à la
croissance) et des outils de la biologie moléculaire comme l’insémination
artificielle, la stimulation ovarienne, le tri, la sélection et l’implantation
d’embryons, le clonage, l’utilisation des mères porteuses, mais aussi le typage
moléculaire qui permet « l’amélioration » génétique des animaux d’élevage.
Il existe trois types de critères de sélection exercée sur les animaux d’élevage :
un contrôle reproductif, un contrôle laitier et un contrôle de croissance ou
des aptitudes bouchères. Dans ces trois cas, les corps des femelles animales
(vaches laitières, poules pondeuses, dindes, truies gestantes) subissent des
traitements systématiques prolongés dans des conditions de confinement où les
mères sont séparées de leurs progénitures juste après la mise bas [16].
Généralement, les animaux mâles sont abattus à l’adolescence pour produire de
la viande de veau ou d’agneau. Pour ce qui est des corps d’animaux femelles :
« On en
obtient des œufs, du lait, des petits pour leur viande et le remplacement des
adultes, et finalement on mange leur corps fatigué en fin de cycle. Dans ce
système, les femelles animales
subissent une double exploitation : durant leur vie (production de
lait, œufs, veaux...) et à l’heure de la mort où elles sont envoyées à la
boucherie et transformées en viande »[17].
Outre la dénonciation de ce qui affecte d’une
manière spécifique les corps femelles animaux, il est intéressant de poser un
regard critique écoféministe sur le travail dans l’industrie de la viande et ses
conditions. Ce secteur industriel emploie en effet généralement une main-d’œuvre
non qualifiée majoritairement migrante pour laquelle les conditions de travail
et de rémunération sont peu enviables. Les tâches de découpage et d’emballage
de la viande sont généralement réservées aux travailleuses, ce qui exige qu’elles
manipulent la viande et soulève de graves problèmes de sécurité et de santé au travail,
car ces femmes sont le plus souvent exposées à diverses blessures sans parler
des substances chimiques toxiques provoquant le cancer du sein [18].
Exposer les dynamiques du genre dans l’élevage, la consommation et la
production industrielle de viande ouvre la possibilité de comprendre les liens
étroits et la solidarité entre humains et animaux. Pour les écoféministes,
refuser de consommer de la viande détermine l’espace du mangeable et du non
mangeable. C’est aussi une manière d’entretenir le lien social avec l’environnement [19],
de le concrétiser à travers l’alimentation. Malgré ses promesses d’éliminer les
problèmes liés aux conditions écologiques et éthiques des élevages et du
traitement des animaux, la viande in
vitro peut-elle contribuer à transformer les rapports de domination,
notamment de la nature, des animaux et des femmes ? Est-ce qu’une analyse
écoféministe peut nous informer sur les enjeux soulevés par la viande in vitro ?
La
biomédicalisation de la viande
Dans une
perspective sociologique, on peut interroger maintenant la viande comme objet
et sujet des technosciences, en particulier l’avènement de la viande in vitro, l’idée que la viande puisse
être produite dans des bioréacteurs grâce aux avancées biotechnologiques et
biomédicales permises par les recherches sur les cellules souches. La viande
cultivée en laboratoire peut être considérée comme l’aboutissement de la
technoscience revue par l’industrie agroalimentaire, mais dans son rapport
direct avec l’industrie pharmaceutique, en particulier celle de la médecine
régénératrice. Ces liens sont déjà forts comme l’indique la description du
contrôle reproductif des femelles animales.
En ce
sens, la notion de « biomédicalisation », issue des travaux d’Adèle
Clarke qui analyse les nouvelles formes de médicalisation rendues possibles
grâce aux avancées technoscientifiques, nous fournira quelques précisions. Le
passage de la médicalisation à la biomédicalisation entraîne de plus grandes
possibilités de contrôler le vivant et de transformer non seulement les corps,
à travers la médecine régénératrice, mais aussi de redéfinir la vie animale,
végétale et humaine [20].
Adèle E. Clarke et ses collaboratrices définissent ainsi la nouvelle
biomédicalisation : « La biomédecine s’organise non seulement de
bas en haut ou de haut en bas, mais aussi de l’intérieur vers l’extérieur, et
cela essentiellement par la reconstruction des infrastructures
organisationnelles et, par suite, institutionnelles, des sciences de la vie et
de la biomédecine, du fait de l’incorporation de technologies informatiques et
informationnelles. De plus, diagnostics et traitements seront bientôt
grandement transformés par les biotechnologies, la génomique, de nouvelles
technologies informatiques de visualisation, la synthèse de médicaments
assistée par ordinateur, une médecine fondée sur la preuve, la télémédecine/télésanté,
etc. L’incorporation de ces innovations technoscientifiques est à la fois si
dense, si dispersée (local-mondial-local) et si pleine de conséquences pour l’organisation
et la pratique de la biomédecine, au sens large, qu’elle correspond, en fait, à
une reconstitution de l’ensemble de ce secteur économique et de ce domaine
culturel et social » [21].
Les transformations de l’humain, du non-humain et de ce que l’on pourrait
appeler les hybrides ou même les cyborgs sont rendues possibles à travers la convergence
NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Sciences de l’Information et Sciences
Cognitives) qui signale des bouleversements sociaux importants. Cela comporte
aussi des « brouillages » de frontières de tous genres :
naturel/artificiel, humain/non-humain, patient/consommateur, animal/machine,
etc. Pour être médicalisé il faut que
« le domaine, le processus ou le sujet en question »
puissent être définis en termes médicaux [22].
Le « bio » dans biomédecine élargit les possibilités de la
médicalisation sur l’ensemble du vivant. Le cas de la viande in vitro décrit bien l’importance
grandissante de la science et de la technologie, les liens avec la médecine
régénératrice et la nouvelle organisation sociale et économique que cette pratique
pourrait engendrer. La transformation du vivant dont il est question dans le
projet de viande cultivée demande que l’on réfléchisse sur les déplacements du contrôle
externe de la nature vers le contrôle d’une nature « interne » exercé
sur les processus biologiques des humains et des non-humains [23].
La
viande in vitro n’existe encore qu’au
stade expérimental. Mais dans le cas qui nous intéresse, nous nous attarderons
sur les aspects scientifiques/industriels de la production de ce type de viande
qui, à travers son application concrète et sa rationalité opératoire, laisse
ouverte la question de l’animal. Mis à part les discours écologiques et
éthiques sur les animaux que les promoteurs de la viande in vitro déploient pour défendre leur projet, il n’en reste pas
moins que l’élimination de l’animal « entier », par rapport à son intégrité
corporelle et psychique, soulève d’importantes questions, car cette technologie
implique une remise en cause radicale du vivant, de sa relation avec la nature
et de son appartenance au tissu socioculturel. Notons le parallèle avec les
discours entourant les OGM et les promesses de l’agro-biotechnologie comme
solution pour nourrir la planète [24].
Car la viande n’est pas une simple marchandise, « du fait de son origine
animale, elle participe d’une mise en ordre du monde » [25].
Les courants les plus radicaux des mouvements antivivisectionnistes ou des
droits des animaux voient dans ce projet technoscientifique un moyen de réduire
la souffrance animale quitte à faire la promotion de la viande cultivée, comme
le fait le groupe de protection des animaux PETA (People for the Ethical Treatment
of Animals) qui depuis 2008 a lancé un concours qui prendra fin en 2013 pour « le
prix de la viande in vitro »,
offrant 1 million $ à ceux ou celles qui seront capables de développer un
produit issu du laboratoire qui soit de qualité commercialisable [26].
Le rôle de PETA dans ce projet peut paraître étrange, mais lorsqu’on considère
les actions et les tactiques de ce groupe, certains y voient une manière de
conscientiser le public à ce qu’il mange. Or, si PETA était vraiment intéressé à
redorer l’image de cette technologie, pourquoi ne pas investir cet argent directement
dans la recherche ? [27].
Même si des groupes prônant les droits des animaux s’impliquent dans la viande in vitro, ne peut-on voir là une perte
de signification dans l’idée de consommer un tissu dérivé d’une cellule animale
sans animal ? Comme le disent les bioartistes, Catts et Zurr du collectif
Tissue Culture & Art (TC&A), la viande in vitro ne fait-elle pas, elle aussi, des victimes ? [28].
La viande in
vitro : le sens et la matérialité
La mort fait partie du processus de production de tout
aliment carné. Loin de confronter le consommateur à l’idée de manger un
cadavre, les conséquences d’un régime carné sont dissociées de l’expérience de
manger des animaux. La métamorphose de l’animal en viande décrit un processus à
travers lequel toute ressemblance de la chair animale avec la chair humaine est
éliminée. Source de dégoût, la consommation de chair ayant une apparence
humaine est donc à proscrire. La viande devient alors une métaphore de l’humain,
car la chair mettrait sur le même plan, selon les propos de Gilles Deleuze, l’homme
et la bête ; la chair serait leur zone commune ou ce qu’il nomme leur « zone
d’indiscernabilité » [29].
Noëlie Vialles, qui étudie la consommation d’abats,
constate : « On pourrait multiplier les
références et les observations qui indiquent un dégoût actuel assez général
pour tout ce qui, dans le régime carné, rappelle trop nettement l’animal, sa
forme et sa vie singulières et sa mise à mort » [30]. La représentation de l’animal dans les
débats sur l’alimentation pose directement la question de la vie et de la mort,
mais plus profondément, « le référent implicite de cette représentation
est l’homme lui-même » [31].
Plus encore que cette peur de s’auto-consommer, certains auteurs comme Donna
Haraway pensent que même au niveau symbolique les humains se fabriquent dans la
chair de l’autre et que donc la rencontre avec les autres espèces se joue aux
interfaces entre corps humain/corps animal et nature/technologie. Elle nous
rappelle que la survie de tous les êtres vivants « consiste à vivre et à
user » les corps d’autres vivants. Elle parle d’amour inter-spécifique
avec les espèces compagnes (companion
species) qui expliquerait en partie notre aversion à consommer les animaux
familiers [32]. Ainsi
« la question de savoir s’il est ou non légitime de manger de la viande
semble directement liée au degré d’humanité qu’on est prêt à attribuer aux
animaux » [33].
L’origine
de l’animal, même si celui-ci est objectivé dans la relation marchande et n’est
que matière première dans le processus de production, demeure un aspect
important du lien que les consommateurs entretiennent avec lui. L’abstraction
du corps de l’animal avec le morceau de viande que l’on achète n’est jamais complète,
car que ce soit dans un supermarché ou dans une boucherie chaque carcasse est
unique « en fonction de sa taille, de la conformation de la bête, de son
degré d’engraissement » et parle de sa provenance, limitant par là l’effet
de distanciation [34].
Il en est de même pour les dessins, les photographies d’animaux qui
représentent les différentes coupes de viande en magasins et qui tendent à « réifier »
l’animal. C’est en faisant le lien entre la viande et l’animal, sa provenance
et l’information fournie sur les étiquettes ou par le boucher, que certains
consommateurs évalueront la qualité du produit. Dans le cas de la viande
biologique, les clients sont souvent rassurés par l’idée que l’animal a eu une
alimentation saine et qu’il a été élevé dans des conditions « naturelles »
comme l’indiquent les étiquettes. Le vécu (réel ou imaginé) de l’animal est un
élément important qui conditionne notre rapport à la viande que l’on consomme.
Mais, cela dit, ce qui est important à comprendre dans le processus de
distanciation c’est que de son vivant l’animal est défini par rapport à ce qu’il
deviendra, et non par rapport à ce qu’il est encore [35].
C’est ce qui permet « la négation de l’animal en soi » déplaçant l’attention
vers « les vertus de l’aliment, sans susciter d’inquiétudes au sujet des
bêtes, dont la subordination aux fins humaines va de soi, et même en un certain
sens justifie leur existence » [36].
Malgré
cela, le lien entre animal et viande est réel, même si concrètement le corps de
l’animal subit des changements importants lors du processus industriel. En
effet, bien que le processus de transformation de l’animal en viande consiste
en une altération de la forme animale par la boucherie, à travers ce que Noëlie Vialles appelle la « désanimalisation »,
il n’en reste pas moins qu’une viande trop dénaturée peut facilement être
viciée et maquillée. Les consommateurs sont alors victimes de fraudes
alimentaires invisibles comme celle des lasagnes de cheval en Europe. S’accentue
alors la perception des risques alimentaires qui se manifeste dans le boycott
de la viande et dans les mécontentements divers associés à l’alimentation. On
pourrait affirmer qu’arrêter de manger de la viande aurait également une
signification pour les mangeurs étant donné « leur peur (et leur dégoût), […] également leur colère, leur indignation, leur
réprobation face à l’évolution des techniques d’élevage et des pratiques qui y
sont associées, jugées immorales, au motif qu’elles lèsent le plus grand nombre
au profit d’une minorité de riches et d’une “poignée
de multinationales” » [37].
Les industries de la viande et de l’agroalimentaire s’évertuent
à cacher l’animal en fabriquant des produits de plus en plus uniformisés,
contribuant ainsi à construire simultanément l’ignorance du consommateur à
travers différentes pratiques industrielles de transformation, de traitement
des animaux et de nouvelles formes d’alimentation de masse comme la
restauration rapide ou les fast-foods. Ainsi, la grande majorité du bœuf
consommé aux États-Unis l’est sous forme de hamburger. D’après le docteur
Robert Tauxe, chef de la section des maladies alimentaires du « Center for
Disease Control » aux États-Unis, chaque hamburger consiste en un mélange
de centaines voire de milliers d’animaux [38].
Impossible donc de retracer l’individu une fois les différentes chairs
incorporées en viande hachée ; impossible aussi de prévenir ou même de
contrôler les pathogènes présents sans irradier la nourriture, étape finale de
sa dénaturation complète. Le même souci de gommer l’existence de l’animal s’exprime
en boucherie où la découpe de la viande est « la moins différenciée, la
plus négatrice des articulations naturelles et des différences entre les
muscles » [39].
Si ces pratiques de dissimulation du corps animal permettent l’augmentation des
rendements et des profits, elles ont surtout provoqué une intensification de
pratiques frauduleuses entourant l’alimentation de masse. Mais le « minerai
de viande » représente bien plus que la « désanimalisation » des
animaux d’élevage, il se traduit en « synecdoque de l’alimentation
industrielle » [40],
car l’image que l’on a de ce bloc de viandes agglomérées renvoie au statut
indéterminé de cette matière première. Le vivant est ainsi nié sous toutes ses
formes dans le processus industriel. La
dissociation entre l’animal sensible et la viande rassure, car elle concentre l’attention
sur l’aliment, évitant ainsi de susciter l’angoisse au sujet de cette
nourriture qui vient de partout et de nulle part à la fois.
On peut alors comprendre pourquoi la « désanimalisation »
totale des aliments modernes devient une source d’inquiétude, de méfiance, de
dégoût sinon de danger dans nos assiettes. Comme le souligne Carol J. Adams
dans son texte « The sexual politics of meat », ce sont des animaux
tués que nous consommons et non des animaux morts. On pourrait aussi penser que
le clonage des animaux d’élevage, pratique courante aux États-Unis, rend le
patrimoine génétique d’un animal sélectionné « immortel », même si
dans la réalité l’animal vivant est bel et bien tué. Mais qu’en est-il pour la
viande in vitro ? En mai
2013, le quotidien The New York Times
publiait un article intitulé : « Construire un hamburger pour 325 000 $ »
dans lequel le journaliste Henry Fountain retraçait le travail de l’équipe de
recherche du Dr Mark Post pour produire un morceau de « hamburger » [41].
Il aura fallu plus d’un an et des centaines de milliers de dollars à ce
laboratoire hollandais pour arriver à fabriquer cinq onces de viande hachée, soit
20 000 couches de fibres musculaires composées de milliards de cellules fusionnées
en viande. Fait à partir de cellules spécifiques prélevées du cou d’animaux provenant
d’abattoirs, ce premier hamburger éprouvette (« test-tube burger »)
sera cuit et consommé lors d’un événement médiatique prévu à Londres dans les
mois qui viennent.
L’idée
de cultiver de la viande en dehors du corps animal n’est pas nouvelle. William
van Eelen, un scientifique hollandais ayant survécu à la famine dans des camps
d’internement japonais durant la guerre d’Indonésie, y pense depuis longtemps.
C’est après la guerre, se rappelant le traitement cruel que les soldats
japonais infligeaient aux humains et aux animaux, qu’il a formulé ce projet [42].
Dès les années quatre-vingt la production de viande en laboratoire devient
possible grâce aux avancées scientifiques entourant la découverte de cellules
souches chez la souris. En 1999, William van Eelen obtient un brevet américain
et un brevet international pour la production industrielle de la viande en
utilisant des méthodes de culture cellulaire. En 2001, la NASA s’intéresse à ce
projet, qui a du mal à obtenir du soutien financier, et met un scientifique
nommé Morris Benjaminson à la tête d’une équipe de recherche qui a pour but la production
de viande fraîche en laboratoire en vue de ravitailler les explorations
spatiales. Les premières expériences de Benjaminson consistent à extraire des
morceaux de tissus de poissons rouges vivants et à les placer dans un milieu
nutritif composé de sérum de veau fœtal. Au bout d’une semaine, il observe que les
cellules de poisson ont proliféré et que le volume initial des morceaux
augmente de 15 % [43].
L’expérience de Benjaminson ne donnera pas de viande comestible et n’ira pas
plus loin, mais ses travaux ont démontré la possibilité de cultiver une chair
vivante hors du corps de l’animal. Ce n’est qu’en 2004 que le gouvernement
hollandais décide d’investir 2 millions d’euros pour la mise en place d’une
équipe de recherche faisant de ce pays ce que Specter appelle la Silicon Valley
de la viande in vitro [44].
Le « In vitro meat consortium » voit le jour en 2008 en Norvège lors
d’une conférence internationale, regroupant ainsi les scientifiques et les
promoteurs de ce projet international. Aux États-Unis, à l’Université de
Caroline du Sud, Vladimir Mironov, spécialiste en génie tissulaire, cherche à
faire le lien entre la médecine régénératrice et le bien-être animal. Son équipe
de recherche travaille sur les possibilités de culture de tissus musculaires
sans l’utilisation d’animaux vivants. L’organisation de protection des animaux
PETA finance d’ailleurs un chercheur postdoctoral de l’équipe de Mironov. Les
centres de recherche les plus actifs dans ce domaine se trouvent en Hollande,
en Suède et en Norvège. Mais c’est l’équipe hollandaise qui fera les plus
grandes avancées, recrutant des chercheurs en biomédecine dont le Dr Mark Post,
spécialiste en angiogenèse (étude de la néovascularisation) qui travaille sur la
régénération de cellules et de tissus cardiaques afin de remplacer les artères
malades de ses patients. C’est d’ailleurs son laboratoire qui a créé le premier
hamburger in vitro.
L’avènement
de la médecine régénératrice et du génie tissulaire permet de faire de la
viande in vitro un projet réalisable
d’après ce qu’en disent les spécialistes dans ce domaine. Ils utilisent ainsi les
mêmes techniques développées en biomédecine pour remplacer des tissus comme la
peau, le cartilage, l’os ou des organes endommagés. Concrètement, pour les
scientifiques impliqués dans ces travaux en Europe et ailleurs et qui
travaillent sur des programmes de recherche en biomédecine, la viande in vitro ne représente qu’un aspect
secondaire de leurs activités car les fonds sont peu disponibles [45].
N’oublions pas la promesse technologique récente des imprimantes 3D dans le
domaine de la production qui pourraient permettre l’assemblage d’organes
régénérés par leur système de production tridimensionnel, ou la création de
structures cellulaires complexes, ce qui accélèrerait la production de viande in vitro. Ces processus sont toutefois
laborieux et coûteux et demeurent aujourd’hui au stade expérimental.
De la « vraie viande artificielle »
Les chercheurs impliqués dans la viande in vitro font face à un dilemme. Willem
van Eelen, l’inventeur de cette technique, défendra lors d’un débat public l’idée
que la viande in vitro est de la « vraie
viande » [46]. Le
sous-entendu est donc qu’elle n’est pas artificielle mais bien réelle, et cela par
rapport au statut « naturel » de la viande industrielle que le
consommateur achète régulièrement. Est-elle cependant si naturelle que cela ? Antibiotiques,
médicaments, stéroïdes, produits polluants pathogènes de toutes sortes,
arsenic, dioxines et autres substances s’y retrouvent, exposant les
consommateurs à de nouvelles menaces sanitaires – encéphalopathie
spongiforme bovine (ESB), grippe aviaire, grippe porcine – et écologiques – effets sur le climat, les sols
et l’eau [47].
Cela nous amène aussi à la confrontation possible entre l’industrie de la
viande et les promoteurs de la viande in
vitro, tel le groupe « New Harvest » [48]
qui finance des études vantant les impacts écologiques de la production de
viande cultivée. C’est un enjeu important dans la mesure où la consommation
mondiale de viande est estimée à 239 millions de tonnes en 2012 (bœuf,
volaille, porc et agneau) et représente 40 % de la production agricole
totale [49].
Or, un rapport de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et
l’Agriculture) indique que l’agriculture contribuerait à 18 % des gaz à
effet de serre et qu’environ 80 % des terres agricoles seraient consacrées
au bétail et à son alimentation (culture céréalière) [50].
La rationalisation du système industriel implique également que les animaux d’élevage
deviennent maintenant pour la plupart des espèces hybrides. Elles sont le
résultat de sélections successives, tant sur le plan génétique qu’agronomique, qui
visent à maximiser leur masse musculaire et leur capacité reproductrice, mais
le corollaire est un affaiblissement des organes vitaux qui rend ces animaux
plus sensibles aux maladies. La science, en fabriquant et en favorisant ces
espèces adaptées à vivre dans des conditions d’élevage industriel et privées de
« niche écologique », contribue ainsi de fait à la disparition de la
biodiversité animale. Nous sommes ici dans ce que Noëlie Vialles appelle une logique « zoophage » où l’animal
n’est considéré que pour sa chair et donc comme simple aliment [51].
Dans ces conditions, il serait peu probable que l’industrie de la viande
soutienne le projet de chair cultivée en laboratoire. On aurait ainsi déjà
perdu la notion d’animal, même si l’animal industrialisé est sensible et donc capable
de souffrance.
La chair cultivée en laboratoire s’inscrit en faux contre les
produits issus de l’industrie agroalimentaire, mais elle ne rompt pas
réellement avec ce que l’on pourrait appeler le « capital animal »,
c’est-à-dire la conjonction entre deux entités matérielles : l’animal en
tant que matière première, et le capital qui le marchandise.
Car la viande in vitro est issue des
mêmes technologies que celles qui façonnent les animaux d’élevage : « La viande in vitro
s’inscrit dans la poursuite du processus historique qui conjugue industrialisation
intensive de l’élevage et développement inédit des biotechnologies » [52].
Soulignons par ailleurs que « les techniques dites in vitro sont également rapprochées, dans leur opposition aux
techniques in vivo, des méthodes
alternatives à l’expérimentation sur les animaux vivants », démontrant ainsi
que la transformation en laboratoire « d’animaux adaptés à la
demande » existe depuis très longtemps [53].
Il s’ensuit que la notion d’une viande de boucherie « naturelle » n’est
que pure fiction.
Bien que d’importants obstacles techniques empêchent la
fabrication de tissus musculaires à grande échelle, on peut envisager à l’avenir
la production de tonnes de viande à partir de quelques cellules souches [54].
L’avantage de ces cellules est qu’elles se reproduisent très rapidement et qu’elles
peuvent se diviser très longtemps en laboratoire dans des conditions idéales.
Encore une fois, l’animal vivant reste la source principale des cellules
souches qui seront par la suite amplifiées en laboratoire. On peut prélever des
cellules souches adultes sans causer la mort de l’animal. Certaines équipes
préfèrent cependant travailler avec des cellules souches embryonnaires qui sont
plus flexibles, car elles s’auto renouvellent facilement et sont capables de se
différencier en un grand nombre de types cellulaires. Cette utilisation de
cellules souches embryonnaires soulève par contre un dilemme éthique chez les
défenseurs des animaux, car il faut les produire en laboratoire et les
« sacrifier » pour ainsi dire, tout comme les cellules souches d’origine
fœtale ou prélevées du cordon ombilical qui ne règlent pas le problème de l’instrumentalisation
du corps femelle animal.
Il
semblerait aussi que l’industrie de la viande ne soit pas prête à céder la
place à la viande in vitro, car en
réalité les gros profits ne sont réalisables que pour la viande de basse
qualité. Selon un trader hollandais « le commerce des steaks premier choix
est presque un service rendu à la communauté, car sur ces produits chers, leur
marge est très faible. Ils gagnent leur argent sur les bas morceaux et les
sous-produits, y compris les os, le gras [...]. Cette
marchandise est très rentable, car les usages et les clients sont très
divers – même l’industrie pharmaceutique » [55].
Collagène, tendons, gras, viscères, rognons, comme l’indique l’étude publiée
dans Le Monde la vente des
sous-produits est au cœur du commerce de la viande, car l’animal entier peut
être revendu. Il est alors difficile d’envisager comment l’industrie
pharmaceutique et les industries qui exploitent les produits dérivés de la
viande animale pourraient survivre sans les milliards de bêtes abattues chaque
année.
Même si
la viande cultivée se présente comme une panacée contre la cruauté envers les
animaux, certains obstacles techniques soulèvent des questions éthiques. Il y a
tout d’abord le fait que les milieux cellulaires dans lesquels les cellules
souches prolifèrent et se différencient en fibres musculaires sont composés de
sérum de veau fœtal (SVF). Ce produit, qui est une source importante de
nutriments et de facteurs de croissance utilisés en culture cellulaire,
provient du sang « prélevé de fœtus enlevés
chez les vaches qui, au moment de l’abattage, sont gestantes. Le fœtus de veau
est enlevé lors de l’éviscération et le sang est prélevé par ponction cardiaque
sans anesthésie » [56].
Cette pratique n’est pas divorcée du système industriel de production de la
viande et les chercheurs en sont pleinement conscients : cernant le risque
de perdre le soutien moral du public, ils tentent aujourd’hui de développer un
milieu nutritif à base d’algues pour cultiver les cellules souches [57].
Sur le plan écologique les ressources mobilisées pour
produire des quantités industrielles de viande in vitro ne sont pas négligeables non plus. Ce produit nécessite par
ailleurs un savoir scientifique très spécialisé ainsi que des équipements et
des technologies de pointe en biomédecine et en génie tissulaire. La viande in vitro n’est donc pas à la portée de
tous tant au niveau de sa production que de sa consommation. Bien qu’il soit
encore trop tôt pour le dire, les chercheurs pensent que le prix de cette
denrée se situera entre celui d’une viande de qualité et celui d’une viande
certifiée biologique [58].
Proximité ontologique entre l’animal et la viande in vitro
S’il est impossible de
réduire la vitalité animale à la simple qualité de viande, quel statut ontologique donner alors à la viande in vitro ? Ce produit de la
biomédecine bouleverse en effet les frontières entre la nature et la
technologie, le vivant et le non-vivant, le réel et l’artificiel : est-ce
qu’un amas de cellules cultivé in vitro
constitue du « bœuf » ou du « porc » ? Peut-on séparer
la vache ou le cochon de cette viande reconstituée de la même manière qu’on
sépare l’animal du steak ? Les propos de l’ingénieur biomédical Robert Dennis de l’Université
Chapel Hill nous incitent à affirmer que l’attachement
à l’animal d’origine ne serait que convention car le muscle de
laboratoire diffère du muscle animal tant dans sa texture que dans son goût. Il
décrit la viande in vitro comme aussi
gélatineuse et fade que le Jell-O [59]. Pourtant, si
le goût et la texture de la viande cultivée ne sont que des aspects secondaires,
il reste légitime de se questionner quant à la perte de signification entraînée
par la consommation de cette viande postmoderne. En effet, on peut imaginer que
n’importe quel mammifère, y compris l’humain, pourrait servir de source de
cellules souches pour la production de tissus musculaires. Les premières
expériences de culture tissulaire, effectuées avec des cellules souches
provenant de souris et de porc, semblent aller dans ce sens.
Les chercheurs vantent les promesses de cette viande pour la
santé, affirmant qu’elle pourrait être infusée de vitamines, de « bonnes
graisses » et autres substances bénéfiques. On pourrait même penser que les
médecins puissent prescrire une telle viande à leurs patients et l’adapter aux
besoins thérapeutiques de chacun. C’est de la « viande médicament »
que nous proposent alors les scientifiques, une nourriture biomédicalisée pour
des humains, eux aussi biomédicalisés. La viande in vitro n’est donc qu’un support protéinique modulable selon les
goûts et les besoins. Le fait qu’elle provienne d’une vache, d’une poule ou d’un
cochon n’est plus que convention, réflexe culturel, car c’est une viande sans
âme [60]. La cellule est dans l’animal
mais l’animal n’est pas dans la cellule, même si celle-ci contient dans son
noyau le génotype de l’organisme total. Dans ce cas il demeure le référent
absent de la viande in vitro. Matériellement,
l’animal et sa corporalité donnent un sens et une identité à la cellule et non pas
l’inverse.
Le
raisonnement autour de l’origine cellulaire de la chair nous amène à réfléchir
sur une ambiguïté intéressante : lors d’un cours de formation au
Laboratoire de recherche collaborative art et science, plus connu sous le nom
de « Vivoart », une étudiante végétalienne a exprimé son désir de
manger de la viande sans toutefois infliger de la souffrance (même temporaire)
aux animaux ou contribuer à leur exploitation. Elle a proposé l’idée de
prélever une biopsie de ses propres cellules, pour ensuite cultiver sa chair en
« steaks » [61],
poussant ainsi les limites morales de la viande in vivo. Consommer sa propre chair pour sauver les animaux :
ne serait-ce pas le cauchemar absolu du carnivore [62]
?
Revenons aux questions ouvertes dans cet article : quel
animal cache la culture tissulaire ? Peut-on encore parler de référent
absent ? Et surtout : quelle société se profile à travers ce projet de
fabrication de viande sans animaux ? Une viande in vitro ne possède aucun attachement : ni à la nature, ni à
la vie, ni même au corps. Elle n’a aucune identité, à part celle que la société
lui attribuera, et elle ne possède aucun vécu. Si la chair industrialisée
« désanimalise » déjà les animaux, ils demeurent malgré tout vivants,
sensibles et dotés d’intelligence. Ils sont aussi capables de communiquer, c’est dans le regard de/avec l’animal que l’humain se
construit, et ce contact permet aux espèces de « se répondre » [63].
Comme l’a révélé le scandale des
lasagnes trafiquées, l’hippophagie, la
consommation de viande de cheval, est un tabou alimentaire pour un grand nombre
de consommateurs européens. Ce tabou persiste. Chaque société détermine ce qui
est culturellement mangeable parmi la variété des aliments comestibles. Les spécificités des
consommations alimentaires sont codifiées et peuvent être révélatrices de transformations
sociales et culturelles importantes. La viande in vitro est-elle un passage d’une culture dans laquelle nous
consommons des « cadavres » vers une société où la chair postmoderne
serait hygiénique et moralement pure [64] ?
La viande cultivée en laboratoire serait-elle une amélioration dans nos
habitudes alimentaires ou bien, au contraire, inspirerait-elle le dégoût, car
elle serait comprise non pas comme une preuve du génie de notre civilisation moderne,
mais plutôt comme une négation extrême de la réalité dans laquelle nous vivons ?
N’avons-nous pas créé des fragments d’organismes vivants avec lesquels nous
devons renégocier notre relation à la nature ? Pour les artistes Oron
Catts et Ionat Zurr les fragments de vie que nous créons en laboratoire ou dans
des projets artistiques sont problématiques : ils représentent de
nouvelles catégories morales du vivant, figées dans des aliments
« zombies », qui nous renvoient à notre humanité [65].
Comme les thèmes qu’ils explorent dans leurs œuvres artistiques le démontrent,
la viande in vitro crée l’illusion d’une
existence sans victimes. Cela nous ramène à la pensée écoféministe et au
concept de référent absent, car si la viande in vitro se veut plus « humaine » dans son traitement des
animaux, elle crée aussi beaucoup d’illusions. L’élimination de la violence, de
l’oppression et de l’injustice n’est pas simplement une affaire d’organes ou de
corps manquants, l’animal existe dans sa matérialité certes, mais aussi dans
son rapport symbolique avec l’humain ; nous nous défaisons et nous
refaisons ensemble, comme dirait Donna Haraway. Finalement,
il nous semble difficile de concevoir comment la viande in vitro, qui signale la dématérialisation extrême de notre rapport
au corps animal et au monde, pourrait régler les problèmes du bien-être animal,
la crise écologique, la famine et la dégradation morale qui accompagnent notre
système agro-industriel.
Élisabeth
Abergel
Professeur
agrégé, Département de sociologie et Institut des Sciences de l’Environnement
(ISE), Université du Québec à Montréal.
Publications
Ouvrage et chapitres de
livres
Avec Rod MacRae, Health
and Sustainability in the Canadian Food System : Advocacy and Opportunity
for Civil Society, Vancouver, University of British Columbia Press, 2012
« The
paradox of governing through the courts : The Canadian GMO Contamination
Debate », in Mustafa Koc,
Jennifer Sumner and Tony Winson (eds.), Critical
Perspectives in Food Studies, Oxford, Oxford University Press, 2012.
« Termination
or Germination : Can GM and non-GM agriculture co-exist ? », in Mustafa Koc, Rod MacRae and Kelly
Bronson (eds.), Interdisciplinary Perspectives in Food Studies, Toronto,
McGraw-Hill Ryerson Limited, 2008.
« Trade,
Science and Canada’s Regulatory Framework for Determining the Environmental
Safety of GE Crops », in Iain
E.P. Taylor (ed.), Genetically Engineered
Crops : Interim Policies, Uncertain Legislation, Binghamton, The Haworth
Press, 2007.
« Working
in the Fields of Biotechnology », in
Peggy Tripp-Knowles and Linda Muzzin (eds.), Teaching as Activism : Equity meets Environmentalism,
Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2005.
Articles
« Biosurveillance
and the Financialization of Life Itself », in Topia, parution prévue en 2013.
« Climate-ready
Crops and Bio-Capitalism : Towards a New Food Regime », in International
Journal of Sociology of Agriculture and Food, volume 18, n° 3, 2011.
« La
connaissance scientifique aux frontières du bio-art : Le vivant à l’ère du
post-naturel », in Cahiers de
recherche sociologique, n° 50, 2011.
Avec
Katherine Barrett, « Defining a safe GM Organism. Boundaries of Scientific
Assessment », in Science and Public
Policy, volume 29, n° 1, 2002.
Avec
Katherine Barrett, « A Timeline Analysis of Canadian Biotechnology
Regulations : A Case of the Horse before the Cart », in Journal of Canadian Studies, volume
37, n° 3, 2002.
Avec
Katherine Barrett, « Breeding Familiarity: Environmental Risk Assessment
for Genetically Engineered Crops in Canada », in Science and Public Policy, Volume 27, n° 1, 2000.
« Artificial
Controversies in Biosafety Assessment », in Science as Culture, volume 9, n° 2, 2000.
[1] http://www.npr.org/blogs/thesalt/2012/06/27/155527365/visualizing-a-nation-ofmeat-eaters
[2] Jon Harris, « Horsemeat scandal exposes the cheap food
imperative », The Guardian, 11
février 2013. Consulter le site :
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2013/feb/11/horsemeat-scandal-cheap-food-imperative
[3]
http://www.ers.usda.gov/data-products/food-expenditures.aspx#26636
[4]
http://www.oecd.org/fr/echanges/echanges-agricoles/40926060.pdf
[5] Les conséquences écologiques des « cheap
food policies » ne sont pas intégrées aux prix, qui ne reflètent pas les
coûts réels de production, de transport et de distribution des aliments. À ces
calculs du prix de la nourriture est substitué un sens très limité de sa
valeur ; le gaspillage de la nourriture devient alors une nécessité du
système industriel, qui crée la surabondance dans les pays riches et la famine
dans les pays pauvres.
(http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2013/jan/13/price-to-be-paid-cheap-food).
[6] Le terme de « minerai de viande »,
selon une définition apparue dans le journal Le Monde, consiste en
« une masse agglomérée de 10 à 25 kg de chutes de découpe et de tissus
graisseux, devenue matière première pour les plats cuisinés des industriels ».
http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2013/03/12/viande-les-bas-morceaux-font-les-beaux-profits_1846692_3208.html
[7] La racine étymologique du mot viande est
latine, à l’origine vivenda et plus
tard vivanda, provenant du verbe
vivre et se définissant comme « ce qui sert à la vie ». À la base, la
viande désignait toutes les nourritures et pas simplement les aliments carnés.
[8] Pour une analyse détaillée de la relation entre l’élevage
intensif et les changements climatiques voir : Organisation des Nations
Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO), « L’ombre portée de
l’élevage : impacts environnementaux et options pour leur
atténuation », Rome, FAO, 2009, Chapitre 3.
[9] Val Plumwood, Environmental
culture : The ecological crisis of reason, Milton Park, Routledge,
2002.
[10] Carol J. Adams, The
Sexual Politics of Meat : A Feminist-Vegetarian Critical Theory,
New York, Continuum International Publishing Group, 1990.
[11] Sans minimiser l’inscription de ce traitement
du corps des femmes dans des rapports de domination, il semble important de
noter que les hommes, progressivement, n’échappent plus à cette
logique « morcellaire », sans commune mesure toutefois avec la
banalisation intégrée de ce traitement pour les femmes.
[12] Ibid., pp. 51-55
[13] Sylvie Rousset, V. Deiss, O. Audebert, R.
Jonvaux, G. Despres, « Attitudes de jeunes femmes vis-à-vis de la viande
rouge – relations avec leurs consommations carnées », Renc. Rech.
Ruminants (3R), INRA, 2003, 10, pp. 331-334.
[14] Selon les règlements régissant
les animaux de boucherie, les catégories suivantes servent à décrire les
différents types de bovins : « Veau (bovin dont l’âge est inférieur ou égal à
8 mois) ; jeune bovin (bovin dont
l’âge est supérieur à 8 mois et inférieur ou égal à 12 mois) ; taurillon (jeune bovin
mâle non castré dont l’âge est supérieur à 12 mois et inférieur ou égal à 24
mois) ; taureau (bovin non castré dont l’âge est supérieur à 24
mois) ; bœuf (bovin mâle castré dont l’âge est supérieur à 12 mois) ;
génisse (bovin femelle n’ayant pas vêlé dont l’âge est supérieur à 12
mois) ; jeune vache (bovin femelle qui a déjà vêlé et dont l’âge est
supérieur à 12 mois et inférieur ou égal à 60 mois) ; vache (bovin femelle qui a déjà vêlé et dont
l’âge est supérieur à 60 mois) ». Ce langage exprime bien le concept de
référent absent car il crée une distance entre l’animal et la viande, il décrit
l’animal qui n’a pour seule vocation que d’être mangé, selon sa destination et
son mode de cuisson.
[15] Lisa Kemener, Sister
species : Women, animals and social justice, Urbana, University of
Chicago Press, 2011, pp. 173-185.
[16] Ibid.
[17] Une analyse du blogue écoféministe et
anti-spéciste Hypatie résume bien l’exploitation industrielle du corps des
femelles. Voir : http://hypathie.blogspot.ca/2010/11/sexual-politics-of-meat-carole-adams.html
[18] Claire Askew et Kaitlin
Pelletier, « Les
effets sexospécifiques sur la santé et l’environnement découlant d’une culture
de consommation de viande », in
Clow, Pederson, Haworth-Brockman, et Bernier Éditeurs (2009), Se montrer à la hauteur du défi :
L’analyse des influences du genre et du sexe en planification, en élaboration
de politiques et en recherche dans le domaine de la santé au Canada,
rapport publié par le Centre d’excellence pour la santé des femmes, Halifax,
Nouvelle-Écosse, pp. 108-111
[19] Voir Catherine Larrère, « L’écoféminisme :
féminisme écologique ou écologie féministe ? », in Tracés. Revue de Sciences
humaines, n ° 22, 2012, pp. 105-121.
[20] Adèle E. Clarke, Jennifer R.
Fishman, Jennifer Ruth Fosket, Laura Mamo, Janet K. Shim, « Technosciences et nouvelle
biomédicalisation : racines occidentales, rhizomes mondiaux », in Sciences sociales et santé, Volume 18, n ° 2, 2000. pp. 11-42.
[21] Ibid., p. 13.
[22] Ibid., p. 20.
[23] Ibid., p. 25.
[24] D’ailleurs, la grande majorité de la
production OGM à ce jour est destinée à l’alimentation animale, ce qui montre
que les OGM permettent en réalité de développer la filière de l’élevage et de
fait la consommation de viande.
[25] Guilhem Anzalone, « La viande comme marchandise
(enquête) », Terrains et travaux, n° 9, 2005/2, pp.
125-142.
[26] D’après Ingrid Newkirk, présidente et
co-fondatrice de PETA, la récompense ira au premier groupe capable de
reproduire une viande de poulet in vitro
identique dans son goût et sa texture à du « vrai » poulet (http://www.peta.org/b/thepetafiles/archive/tags/in+vitro+meat/default.aspx).
[27] Neil Stephens, « In vitro Meat : Zombies on the
Menu ? », in SCRIPTed, n ° 2,
vol. 2, 2010, pp. 395-401.
[28] Oron Catts et Ionat Zurr, « Disembodied
livestock : The promise of semi-living utopia », in Parallax, n ° 1, vol. 19, 2013, pp.
101-113.
[29] Gilles Deleuze, Francis
Bacon : logique de la sensation, Paris, Éditions de La Différence, 1981, t.
1, pp. 20-21.
[30] Noëlie Vialles, « La viande ou la bête », in Terrain, n ° 10
(« Des hommes et des bêtes »), avril 1988, p. 88.
[31] Noëlie Vialles, « Toute chair n’est pas
viande », in Études rurales, n ° 147-148,
1998, pp. 139-149.
[32] Donna Haraway, When
Species Meet, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2008.
[33] Philipp Erikson, « De l’acclimatation des concepts
et des animaux ou les tribulations d’idées américanistes en Europe », in Terrain, no 28
(« Miroirs du colonialisme »), mars 1997, p. 122.
[34] Guilhem Anzalone, « La viande comme marchandise
(enquête) », op. cit.
[35] Ibid., p. 129.
[36] Noëlie Vialles, « La viande ou la bête », op. cit., p. 90.
[37] Estelle Masson et
al., « La crise de la vache folle : “psychose”, contestation,
mémoire et amnésie », in Connexions,
n ° 80, 2003/2, pp. 93-104.
[38] Robert Tauxe, entretien accordé pour Frontline accessible à l’adresse :
http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/meat/interviews/tauxe.html
[39] Noëlie Vialles, « La viande ou la bête », op. cit., p. 90.
[40] Titre utilisé par Marc Tertre 2013 dans son article du 16
février 2013. http://blogs.mediapart.fr/blog/marc-tertre/160213/le-minerai-de-viande-comme-synecdoque-de-la-bouffe-industrielle-entre-science-culture-et-lobby
[41] Henry Fountain, « Building a $325,000 Burger »,
New York Times, 12 mai 2013.
[42] Jeffrey Bartholet, « Inside the Meat Lab », Scientific American, Juin 2011, p. 66.
[43] Michael Specter, « Test-tube Burgers », The New Yorker, 23 mai 2011, p. 32.
[44] Ibid., p. 32.
[45] Neil Stephens, « In vitro Meat : Zombies on the
Menu ? », op. cit.
[46] Ibid.
[47] Consulter le rapport de la FAO pour tous les impacts
environnementaux de l’élevage industriel : Organisation des Nations Unies
pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO), « L’ombre portée de
l’élevage : impacts environnementaux et options pour leur
atténuation », Rome, FAO, 2009.
[48] Voir le site : www.new-harvest.org pour plus de
détails.
[49] Source FAO.
[50] Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et
l’Alimentation (FAO), « L’ombre portée de l’élevage : impacts
environnementaux et options pour leur atténuation », Rome, FAO, 2009
[51] Noëlie Vialles, « La viande ou la bête », op. cit., p. 88.
[52]
Florence Burgat et Jean-François Nordmann, « La viande in vitro : “ rêve du
végétarien”, “cauchemar du carnivore” ? », in Revue Semestrielle du Droit Animalier - RSDA, n ° 1,
2011, p. 215.
[53] Ibid., p. 209.
[54] Mark J. Post, « Cultured meat from stem
cells : Challenges and prospects », in Meat Science, no 92, 2012, pp. 297-301 ; Isha Datar et Mirko Betti,
« Possibilities for an in vitro
meat production system », in
Innovative Food Science and Emerging Technologies, no 11, 2010,
pp. 13-22.
[55] http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2013/03/12/viande-les-bas-morceaux-font-les-beaux-profits_1846692_3208.html
[56] Cette information provient du site 3R (le
remplacement, la réduction et le raffinement), une ONG canadienne qui vise à
encourager l’utilisation éthique des animaux dans les sciences : http://3rs.ccac.ca/fr/essais-et-production/ep-production/serum-de-veau-foetal.html.
Notons que ce site ne prône pas l’élimination de l’expérimentation animale.
[57] Clemens Driessen and Michiel Korthals, « Pig towers and in vitro meat : Disclosing moral
worlds by Design », in Social
Studies of Science, n ° 42, vol. 6, 2012, pp. 797-820.
[58] Neil Stephens, « In vitro Meat : Zombies on the
Menu ? », op. cit.
[59] Cité dans Michael Specter, « Test-tube
Burgers », op. cit. Notons que
le Jell-O est un dessert
sous forme de gélatine dont raffolent les Britanniques et les Nord-américains.
[60] Un éleveur de viande biologique cité dans
l’article de Michael Specter résume bien la situation : « If you just
look at meat without looking at the life of a cow you are looking at
nothing ».
[61] Oron Catts, Ionat Zurr et Guy Ben-Ary, « Que/qui sont les
êtres semi-vivants créés par Tissue
Culture & Art », in Jens Hauser (dir.), L’art biotech’, Trézélan, Filigranes
Éditions, 2003, p. 26.
[62] La référence au « cauchemar du
carnivore » se retrouve dans le texte de Florence Burgat et
Jean-François Nordmann, « La
viande in vitro : “ rêve du
végétarien”, “cauchemar du carnivore” ? », op. cit., mais il est utilisé ici pour parler de l’idée que consommer
de la chair humaine repousserait même les carnivores les plus fervents.
[63] Donna Haraway, When
Species Meet, op. cit.
[64] Clemens Driessen et Michiel Korthals, « Pig towers and in vitro meat : Disclosing moral
worlds by Design », op. cit.
[65] Oron Catts et Ionat Zurr, « Disembodied
livestock : The promise of semi-living utopia », op. cit. En 2003, dans le cadre d’un événement d’art
biotech à Nantes, le groupe TC&A avait prélevé des tissus d’animaux vivants
qu’ils avaient ensuite cultivés in vitro
pendant que ceux-ci (des grenouilles en l’occurrence) guérissaient. Le dernier
jour de l’exposition intitulée « Cuisine désincarnée », la chair a
été cuite et consommée, et les grenouilles relâchées dans la nature. Voir aussi
le rapport de la viande in vitro à
l’art biotechnologique dans leur article « Growing semi-living
sculptures », Leonardo, vol. 35,
n° 4, 2002, pp. 365–370.