Quel animal ? La question est provocante
par son ouverture : il s’agit en effet de se demander quel animal humain nous
sommes – biologiquement, anthropologiquement, philosophiquement, voire
même psychanalytiquement –, mais aussi de penser – politiquement,
éthiquement, anthropologiquement, philosophiquement – avec quel animal
nous voudrions, pourrions et devrions vivre. Quel animal ? est d’abord
une interrogation sur notre propre nature – l’humanité, l’animalité, la « bestialité » ?
Cette interrogation a aussi la capacité de mettre en évidence notre
responsabilité face à notre environnement, notamment en ce qui concerne les espèces
en voie de disparition, les animaux cobayes de laboratoire et les victimes des abattoirs…
Cette interrogation implique enfin une réflexion sur les rapports que nous
entretenons avec le monde et la vie – en rappelant les liens biologiques,
historiques, moraux et même émotionnels qui nous lient au vivant sous toutes
ses formes.
Les questions
fondamentales liées à la connaissance de la nature du vivant, aux limites physiques,
émotionnelles, scientifiques, éthiques et morales des possibilités du corps
humain, mais aussi aux frontières qui séparent – et aux liens qui unissent –
les êtres entre eux, les organismes vivants et les machines, l’humain et
l’animal, autrement dit ce qui fait la spécificité du vivant et de la vie [1],
sont aujourd’hui au centre d’importants débats transdisciplinaires qui
impliquent non seulement la philosophie et l’anthropo-sociologie mais aussi
toutes les disciplines scientifiques, juridiques (la bioéthique), politiques
(notamment la biopolitique) et les champs artistiques [2].
Il y a d’un côté les avancées vertigineuses de la science et de l’autre le prix
que fait payer notre civilisation à la planète ; il y a les débats
éthiques et philosophiques qui se retrouvent face à la bioéthique, surtout
quand celle-ci est inscrite dans la loi et devient donc du droit ; et il y
a pour finir la médiatisation extrêmement rapide des innovations scientifiques
qui à la fois démocratise et vulgarise les débats. Les questions fondamentales
liées au vivant se retrouvent ainsi à nouveau ouvertes et ceci dans un contexte
où la commercialisation du corps et de ses éléments entraîne son remodelage permanent.
L’homme qui devient de plus en plus puissant scientifiquement et qui rêve de s’auto
engendrer artificiellement, aura bientôt détruit toute la biosphère et n’aura
plus d’environnement dans lequel survivre. Les inquiétudes du duo artistique Art Orienté Objet surgissent entre
autres de cette contradiction entre l’évolution des connaissances scientifiques
et l’involution de notre rapport au monde.
Mon article
propose une approche de la question Quel animal ? à partir d’une
expérience artistique – qui est aussi une expérimentation biotechnologique
et médicale borderline : la performance du duo Art Orienté Objet
(AOO),
formé par Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin, Que le cheval vive en
moi ! [3]. Il
s’agit pour les artistes d’éprouver la proximité
avec l’animal, ou plutôt son « endossement » [4], en
partant du physique, du sang, de l’ADN, pour aller jusqu’aux récits
mythologiques fondateurs, aux savoirs et rituels ancestraux et vice versa.
Si la science découvre les lois du monde, l’art, lui,
peut parfois révéler, essayer de partager ou créer un monde. Le choix de partir de l’art pour se
confronter à la question de notre rapport à l’animalité est ainsi justifié
parce que l’expérience esthétique surprend parfois en mettant en suspens la
conception du monde aussi bien du chercheur qui s’y intéresse et se voudrait
« spécialiste » que du spectateur ordinaire ; ensuite parce que
l’art biotechnologique est un univers praxéologique complexe qui incite à
adopter la démarche complémentariste et multiréférentielle qu’exige la question
animale ; et finalement parce que la démarche d’AOO apparaît particulièrement pertinente
concernant les sciences du vivant et du comportement. Notamment quand il s’agit
de la question animale que les artistes du duo AOO posent toujours par rapport
à l’être humain et ses altérités, que celles-ci soient spécifiques, corporelles
ou spirituelles. Impliqués aussi
bien dans la recherche médicale poussée et les diverses
« réparations » et évolutions de l’homme [5] –
prothèses mécaniques, greffes des organes, cultures de peaux, organes
artificiels, fécondation in vitro,
clonage [6], etc. –,
que dans la redécouverte des savoirs traditionnels et l’ethnopsychanalyse,
l’éthologie et la recherche anthropologique – tout en accordant un rôle
fondamental dans leurs créations à une « perception non verbale de la
réalité » –, les artistes d’AOO sont ainsi à la fois des créateurs,
des chercheurs, des militants écologistes avertis et engagés dans la
responsabilisation du public quant à l’avenir de la planète. C’est donc au cœur
même de cette antinomie entre les progrès scientifiques extraordinaires et leurs
conséquences néfastes sur le monde vivant qu’est né ce projet artistique pour
le moins déroutant dont l’objectif est de savoir s’il est possible de faire
vivre l’animal dans le corps humain. Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin se
demandent en effet si l’animal ne pourrait pas être envisagé comme le futur de
l’homme, non plus comme cobaye, victime ou figure de l’homme déshumanisé, mais
plutôt en tant qu’alter ego. Comme le note Marion Laval-Jeantet : « Ici,
l’Autre est l’outil maïeutique qui va
révéler la spécificité de sa conscience incarnée à l’artiste. L’Autre est dans l’expérience Que le cheval vive en moi !, l’Hybris, la démesure sans laquelle Dikê, la justice des hommes ne saurait
exister. L’Autre prend dans l’acte
artistique la valeur de la figure qui manquerait à la conscience humaine pour
envisager son devenir » [7].
Genèse
et mise en place du dispositif
Il y a plusieurs points de départ à ce
projet, en voici trois qui me semblent fondamentaux :
–
Marion Laval-Jeantet
a eu une « vision d’un monde extrême, où les
rares animaux autorisés à survivre ne le seraient que par l’utilité que l’homme
en aurait » [8]. Elle
a eu ainsi l’idée, par une sorte d’empathie singulière, de faire survivre en
elle un animal en voie de disparition, le panda, en « hébergeant »
son sang, c’est-à-dire en essayant d’incorporer le sang de l’animal dans son
propre corps.
–
Suite à d’autres
expériences-recherches et créations artistiques du duo [9],
Marion Laval-Jeantet a voulu « aller plus loin dans l’incorporation de
l’animal non-humain », afin de ressentir physiquement ce que cela pouvait
susciter de vivre en son propre corps la présence d’un autre organisme – et
plus spécifiquement d’un organisme non-humain.
–
Mais aussi « s’injecter du
sang animal », cette idée à caractère utopique, surgit également à la suite
de recherches menées par le duo à l’Institut Pasteur en 1999 ; recherches qui
avaient déjà confirmé à l’époque l’utilisation très fréquente de sérums animaux
pour la médecine humaine. La difficulté d’obtenir du sang d’un animal aussi
rare que le panda, mais aussi de trouver un laboratoire qui accepterait de
mettre en œuvre un projet artistique aussi « fou », a contribué à
l’évolution du projet. Ce ne serait donc pas le panda que l’artiste porterait
en elle – qu’elle endosserait – mais un autre animal.
Ce
type d’expérimentation étant interdit au sein de l’Union Européenne, c’est
seulement en 2006 que les artistes réussirent à convaincre un laboratoire en Suisse,
spécialisé dans la fabrication de sérums pour les grands cancéreux, d’accepter
Marion Laval-Jeantet en tant que chercheuse en psychologie de l’immunité. Elle
y présenta un projet destiné à comprendre l’effet des immunoglobulines animales
sur l’esprit humain, en occultant évidemment la dimension artistique de la
recherche. Le laboratoire en question travaillant sur le sang du cochon, de la
vache, du mouton et du cheval, le choix se porta rapidement sur le cheval –
probablement pour des raisons symboliques et « esthétiques ». Il ne
fut évidemment pas question de mettre en place une transfusion sanguine classique
complète, mais de trouver, avec l’aide des scientifiques, des éléments du sang
équin à conserver : le plasma avec les nombreuses protéines du sang et en
particulier les immunoglobulines (qui sont les vecteurs de la réactivité de
l’organisme, donc très influentes sur le système nerveux) – à l’exclusion
des immunoglobulines sexuelles (qui perturbent le système hormonal à long
terme) et cardiaques, du fait de la très grande différence de puissance du
système cardiaque équin.
La
performance pendant laquelle Marion Laval-Jeantet reçut en tout une quarantaine
de familles d’immunoglobulines équines a eu lieu le 22 février 2011 à la
Galerie Kapelica à Ljubliana en Slovénie. Mais l’historique de la recherche et
la mithridatisation – les tests d’adaptabilité de l’immunité humaine aux
éléments du sang équin par accoutumance à petites doses, etc. – à laquelle
s’est soumise l’artiste pendant les mois qui précédèrent l’injection massive
ainsi que les effets qui s’en suivirent font partie intégrante du dispositif de
ce projet déconcertant. L’expérience en question s’étend ainsi bien en deçà et au-delà
du jour J, puisqu’afin d’héberger et de ressentir en elle la nature du cheval
l’artiste a subi toute une série d’examens, et suivi un régime très strict. D’autre
part, une fois l’expérience réalisée, elle a continué et continue, à différents
degrés, à ressentir des effets qui ont été qualifiés par des spécialistes comme
« non-typiquement-humains » [10]. Marion
Laval-Jeantet a ainsi procédé à un mouvement effectif, concret, d’altération de
son propre corps et d’incorporation d’un autre, qui, une fois entré en elle et
accepté par son organisme, a continué à l’altérer. Il y a ici, pour reprendre
l’idée de Deleuze et Guattari, un devenir-animal –
partiel et nous verrons pourquoi – qui est mis en œuvre dans ce projet, et
qui en plus d’avoir une forte valence symbolique, de faire tendre l’imaginaire
vers l’inimaginable et de se référer à une littérature fantastique et
mythologique abondante, n’est pas mimétique ou représentatif mais bel et bien
réel, biologique et scientifique : il s’agit d’un devenir-animal de
l’humain qui avant même d’être symbolique, sympathique ou fantasmatique, est charnel.
Dans ce projet le duo pousse l’art dans le
registre de l’inimaginable ; il s’agit certes d’éprouver le ressenti
animal dans le corps humain, mais il ne faut pas oublier que faire œuvre dans
ce cas a été un projet de longue haleine puisque pour arriver à leurs fins les
artistes ont dû mettre en place des dispositifs complexes et ceci à plusieurs
niveaux : médical et biotechnologique avant tout (collaborer avec des
laboratoires médicaux afin d’analyser et rendre compatible le sang de l’artiste
avec le sang du cheval), mais aussi artistique (trouver un lieu d’art capable
de prendre les risques symboliques et juridiques pour la réalisation d’un tel
projet). Ces préalables concrets engagent la grande question philosophique,
existentielle, morale, écologique, et bien sur esthétique, que pose cette performance
d’art : « Qu’est-ce qui de l’autre peut devenir moi ? »
Voici
quelques notes de Marion Laval-Jeantet après la performance :
« Je
suis fébrile, je sais que je ne dormirai pas ou peu, c’est un effet que j’ai
déjà observé avec les immunoglobulines endocrines. Il faut une heure allongée
pour trouver la paix, on dort un cycle, puis on se réveille, ultra nervosité,
pour se rendormir deux heures plus tard pour un deuxième cycle. En tout, une
nuit chevaline ne semble contenir que quatre heures de sommeil. L’effet ne
s’estompera que huit jours plus tard. Pendant cette longue semaine, ma vie est
très perturbée. Je ne dors plus qu’épisodiquement, j’ai tout le temps faim,
mais je ne digère rien, je me sens puissante, et pourtant une tape sur l’épaule
me terrorise. Le moindre bruit m’effraie, j’ai peur de tout, mais une peur sans
conscience, une peur instinctive, non existentielle. Une simple peur, pas une
angoisse. […] Un primate puissant n’a pas peur. La puissance et la peur
conjointe ne sont pas primates. Ça, c’est un effet chevalin à coup sûr » [11].
Dans un autre texte l’artiste ajoute qu’elle a pu « ainsi expérimenter l’hyperréactivité
du cheval dans [s]a chair »[12],
elle expliquera ensuite que par
la vitalité chevaline qu’elle avait vécue pendant une semaine elle avait
effectivement senti un autre corps dans son corps propre. D’après Miranda
Grounds, professeure de biologie de l’Université de Western Australia, ces
impressions pouvaient aussi bien être les effets de
l’activité d’un système inflammatoire que ceux d’une nature équine à proprement
parler. Miranda Grounds était pourtant d’accord avec Jean-Claude Lecron, professeur
de Pathologie nerveuse, musculaire et mentale à l’Université de Poitiers, pour
dire que « les immunoglobulines sont des protéines extrêmement
spécifiques, spécifiques du point de vue des récepteurs qu’elles doivent
toucher, mais aussi spécifiquement créées par chaque organisme. Une
immunoglobuline équine entraîne donc bien une réponse spécifiquement
chevaline » [13].
Passages
Que
le cheval vive en moi ! est
une expérience intérieure de passage d’un monde dans un autre, c’est la
création d’un lien intime, viscéral, entre l’un et son autre absolu – du
moins a priori puisqu’il s’agit de « l’incorporation »
de l’animal par l’humain qui ressent ainsi une nature, une énergie et une
réactivité animales dans son être propre. Ce
passage, qui est apparemment paradoxal puisqu’a priori les passages se font à l’extérieur, est ainsi dans ce cas une
étrange fusion de l’intérieur avec un extérieur – où l’extérieur,
l’inconnu, devient un objet du savoir avec lequel communique le sujet par
l’intérieur. Cela n’est pas sans rappeler ce que note Georges Bataille à propos
de l’« expérience, seule autorité, seule valeur » : « Mais
l’expérience intérieure est conquête et comme telle pour autrui ! Le sujet dans l’expérience s’égare, il se perd
dans l’objet, qui lui-même se dissout. Il ne pourrait cependant se dissoudre à
ce point si sa nature ne lui permettait ce changement » [14].
Pour autrui, vers autrui et par
autrui, en effet. S’il fallait donner un nom théorique au projet Que le cheval vive en moi !, il
serait probablement plus adéquat – et nous verrons pourquoi – de dire
qu’il s’agit d’une expérience intérieure
et rhizomatique de l’altérité animale plutôt que d’un devenir-animal.
Par la force des choses, cette performance se
confronte également à d’autres altérités et présuppose d’autres passages :
de la médecine à l’art et à l’éthologie, de la science la plus pointue à la
corporéité empathique, du caractère politique de la recherche aux profondeurs quasi
sacrées de la connaissance, de l’artiste à son public, etc. La transmission, le
devenir autre, le partage de l’être,
l’endossement, le risque, l’inconnu et la volonté de découvrir, de rencontrer,
en sont ainsi des réalités constitutives.
De l’art à la science
Interroger par le biais de l’animalité les avancées biotechnologiques
qui réactualisent la question philosophique fondamentale de « l’homme et
[de] l’autre que l’homme » [15] –
que cet autre soit post-humain, post-urbain, post-terrien, supra-humain, etc. –
n’est pas une attitude nouvelle pour AOO, ni pour le monde de l’art.
La particularité de certaines pratiques artistiques (que l’on peut
désigner de plusieurs manières : bioart, art biotech ou art
biotechnologique, art transgénique ou de manipulation du vivant) réside en
effet dans le fait que certains artistes utilisent les sciences du vivant et
les biotechnologies non seulement comme champs de questionnement, mais aussi
comme outils de travail. Ils connaissent très bien les NBIC (nanotechnologies,
biotechnologies, informatique et sciences cognitives) puisqu’ils accèdent aux
laboratoires scientifiques [16],
ils transposent parfois ces laboratoires dans les espaces d’exposition mais
surtout ils collaborent avec des chercheurs pour la réalisation de leurs
œuvres : « Le mot clé de ces démarches est détournement » [17].
S’agit-il forcément et toujours de propositions artistiques questionnant les
limites de l’éthique, de l’art et de la science ? Les artistes qui s’y
consacrent – souvent appelés bioartistes – ont-ils les mêmes
intentionnalités créatrices parce qu’ils manient à peu près les mêmes
méthodes ? Comment franchit-on la barrière de l’art et celle de la science
pour faire de l’art scientifique ?
La singularité d’AOO se situe avant tout dans sa démarche : l’objectif du duo artistique n’est pas tant de faire de l’art scientifique ou
biotechnologique à tout prix, mais plutôt de poser des questions cruciales de façon
transversale et de proposer des réponses possibles, et ceci toujours de manière
artistique, c’est-à-dire du point de vue de l’esthétique [18].
Que la formulation de ces propositions nécessite parfois l’utilisation des
biotechnologies est un fait secondaire puisqu’il s’agit avant tout pour les
artistes : « 1. D’abord de nous immerger dans des terrains qui nous
confrontent à la menace écologique. 2. D’y mener une recherche cognitive qui
nous permette de prendre conscience de cette menace. 3. Enfin, de produire des
œuvres à même de traduire émotionnellement notre prise de conscience, afin
d’éveiller celle de l’observateur éventuel, tout en tentant de produire un
transfert de l’angoisse de la menace sur l’œuvre proposée. Car alors
l’angoisse, loin de se présenter comme un frein, devient dynamique, porteuse
d’une inventivité qui autorise l’action, quelle qu’elle soit » [19].
Il y a donc parfois un travail qui se fait à la frontière de l’art et de la
science pour la réalisation des œuvres, mais il s’agit bel et bien pour AOO d’un
moyen et non d’une fin.
La question de
départ pour l’expérience d’AOO pourrait être de savoir si nous sommes
biologiquement compatibles avec le sang animal et à quel degré. Elle s’inscrit aussi
dans un questionnement plus large du duo artistique concernant notre conscience
et ses limites, en particulier dans notre appréhension de l’autre, et plus précisément
ici de l’autre animal. Ce projet est à concevoir dans une continuité avec les travaux
antérieurs du duo, notamment avec l’expérience du « Bwiti », un
rituel d’initiation chamanique des pygmées du Gabon, que le duo AOO a expérimenté
et dont il s’est ensuite inspiré pour réaliser une série d’œuvres d’art [20]. Au
cours de ce rituel l’initié entre dans une transe donnant accès à des
visions – et non des hallucinations – censées élargir les limites de
sa conscience puisque, entre autres, des animaux ou d’autres entités prennent
« possession » de lui. Dans cette perspective – à cheval entre
les savoirs ancestraux, rites de guérison et cultes des ancêtres menacés de
disparition, d’une part, et la recherche biomédicale la plus poussée, d’autre
part – la question de savoir si l’on peut endosser l’animal prend un sens
qui de manière évidente dépasse le concret biologique.
Le fait de se retrouver au carrefour de
plusieurs types de savoirs (les mythes fondateurs, la microbiologie, la
médecine, le chamanisme, etc.) n’est pas une première pour le duo qui crée
souvent des œuvres à l’interface de l’intuition créatrice, de la vision
« magique », des avancées scientifiques encore peu connues, du sacré
et des références surprenantes à l’histoire de l’art. Et
Marion Laval-Jeantet de souligner que l’« on
sait très bien qu’un scientifique sans intuition, tout comme une intuition non
vérifiée, n’avancent pas. On essaie souvent de donner à l’intuition une marque
irrationnelle et à la science une marque rationnelle, mais les vrais
scientifiques savent pertinemment qu’il s’agit en réalité de deux types de
réalité qui fonctionnent à échelle différente. On se retrouve ainsi face à une
logique de transversalité » [21]
… qui par un détour étonnant rejoint l’étymologie du mot grec techné dans ses deux sens.
Singularités
Ce que l’on entend le plus souvent dans les
expositions d’art biotechnologique de la part du public, averti ou pas, est le
mot « folie », l’artiste est « fou », le projet est « délirant »,
l’esthétique de laboratoire est « bizarre ». Étant donné qu’il s’agit
du devenir de l’être humain et parce que les questions suscitées par ces œuvres
sont aussi bien d’ordre esthétique, éthique, métaphysique que politique, tout
en faisant appel aux savoirs scientifiques, aux expériences de laboratoires et
aux normes juridiques, les créations du bioart concernent un très large
éventail de spécialistes. Il s’agit en effet de réalisations complexes qui ont
besoin d’explications. Quand elles ont lieu, les réactions oscillent entre la
fascination pour un futur post-humain hyper technologique et l’expression
d’angoisses diverses quant à l’avenir du genre humain et de ses modus vivendi. L’extravagance des
créations de l’art biotechnologique est telle qu’elles sont souvent considérées
comme formant un tout homogène. Or, il y a autant de types d’art
biotechnologique que d’artistes qui manient ces « nouveaux outils
artistiques ».
La question de l’altérité entre l’homme et
l’animal ou de l’auto-métamorphose biotechnologique a été soulevée dans
d’autres performances et créations biotech’ mais à chaque fois avec des
esthétiques très diverses et des intentionnalités radicalement différentes. Soit
deux exemples – parmi tant d’autres, parce que la plupart des entreprises
biotechnologiques utilisent des éléments animaux, que ce soit la culture de
peau, de viande ou de cuir transgéniques – qui démontrent la diversité
d’un champ artistique aussi multiple que complexe. Je choisis délibérément ici
de me référer, comme contexte, à deux performances artistiques dont l’objectif n’est
pas de questionner l’animalité mais plutôt le désir de devenir-autre qui me
semble non seulement fondamental mais préalable à la question du
devenir-animal. La performance d’AOO est en effet à concevoir dans un contexte
général où l’altération esthétique et médicale du corps, l’incorporation de
machines ou d’organes est une réalité indéniable : ainsi apparaissent tous
les enjeux de l’endossement par l’humain d’un autre type d’organisme. Parce que
la « question animale » ne se pose pas en vase clos qui ne concernerait
que l’éthologie, l’anthropologie, la zoologie, la philosophie animale et les
domaines spécifiques de chaque science concernant directement l’animal, mais
dans un contexte général de modification et de remise en question de notre être
au monde et ainsi de notre corporéité, point de départ et lieu essentiel de toute vie humaine.
Souvent le désir de devenir autre concerne la technologisation machinique du corps
humain que représente le cyborg. La
proposition la plus médiatisée de ce cas de figure est l’Extra Ear : Ear on arm de Stelarc. Le projet, toujours en
cours depuis 1997, est une tentative de matérialisation de la théorie du
« corps obsolète » de Stelarc qui consiste à dire que ce qui importe
aujourd’hui n’est plus l’identité du
corps mais sa connectivité :
« Il est temps de se poser la question de savoir si un corps bipède, avec
une vision binoculaire et un cerveau de 1400 centimètres cubes est une forme
biologique adéquate. Il ne peut faire face à la quantité, à la complexité et à
la qualité des informations qu’il a accumulées : il est inhibé par la
précision, la vitesse et le pouvoir de la technologie, et il est biologiquement
mal équipé pour affronter son nouvel environnement extra-terrestre » [22].
L’artiste a ainsi fait construire puis implanté dans son avant-bras gauche une
oreille équipée d’un micro et d’un émetteur Bluetooth. Présentée comme un
« symptôme d’excès », cette oreille technologique et biologiquement
compatible devient, après le téléphone ou l’ordinateur, une nouvelle extension
du corps, une prothèse du « corps augmenté ». Cette troisième oreille
a cependant subi une infection et l’artiste a dû enlever provisoirement le
système de micro. Le projet continue malgré tout et la prochaine étape
consisterait à réaliser son « organe internet pour le corps »,
capable d’entendre et de transmettre à distance. Ici prévaut une esthétique du
corps machine, d’un corps très performant dont on ne se soucie plus des
émotions mais uniquement des capacités. Il ne s’agit donc plus de créer un
autre corps mais de fabriquer un corps
autre, un corps méta-anthropique. En effet l’objectif,
dans cette perspective de post-hominisation, est de dépasser l’humanité du
corps humain et ses « faiblesses » – lire ses
sensibilités – de manière radicale.
Une autre expression du désir revendicatif
d’altération a été mise en place par Julia Reodica avec le projet HymNext. Il est question ici de créer
des hymens bio-artificiels capables de restituer la virginité à toute personne
le désirant et ceci à volonté. Ces hymens unisexes – c’est-à-dire
théoriquement applicables aussi bien aux femmes qu’aux hommes – sont
fabriqués à partir de la culture in vitro
de cellules vaginales de Julia Reodica, de cellules de rongeurs et de cellules
bovines. Ils font référence aux conflits et connexions entre art et science,
intérieur et extérieur et aux rapports entre deux individus. L’hymen est en effet
un réel « entre-deux » : il n’est anatomiquement ni interne ni
externe, il est socialement et psychologiquement le symbole par excellence du
passage d’un état à un autre, moment qui jusqu’à présent était irréversible. Ce
passage, lors du premier acte sexuel, est quoi qu’il en soit un moment affectif
d’une grande importance. Le moment du passage –
et dans certains cas de la « transgression » – joue en effet un
rôle capital pour les deux personnes concernées, mais il joue très probablement
aussi un rôle pour leurs partenaires ultérieurs. On sait par ailleurs que dans
certaines sociétés traditionnelles contemporaines si une femme « n’est pas
pure » au moment de son mariage cela peut avoir des conséquences
graves : cela va de la honte qui retombe sur toute sa famille jusqu’à la
mise à mort de l’épouse. La solution jusqu’à présent trouvée à ce problème est
le recours aux très douloureux points de suture. Julia Reodica veut remettre en
question ces règles traditionnelles, aussi les contourne-t-elle de manière presque
ludique. Mais la question de l’hymen n’est pas uniquement considérée par
l’artiste d’un point de vue social : « L’hymen hymNext symbolise le front uni des deux parties impliquées dans
l’acte sexuel et discursif, une barrière qui est brisée pour commencer une
relation ou pour ouvrir un canal de communication entre deux personnes
indépendamment de leurs assignations ou choix sexuels » [23].
Si l’expérience Que le cheval vive en moi ! ressemble aux deux performances
citées ci-dessus au sens où le corps devient un objet artistique exposé et où
la chair intime de l’artiste se donne et nous donne à vivre – par
procuration – une expérience biotechnologique intense par un jeu
amphibolique questionnant une corporéité qui s’altère, elle s’en distingue
cependant, tant par les intentionnalités à l’œuvre dans chaque projet que par
les choix effectués par les artistes, que ceux-ci soient philosophiques ou
artistiques. Stelarc parle de son corps comme s’il était un objet à améliorer, Julia
Reodica en présente un fragment fondamental reconstitué à l’intérieur d’une petite
boîte à bijoux dans une vitrine comme s’il était l’élément d’une collection d’un
cabinet de curiosités. Le duo AOO, quant à lui, pour ne citer qu’une caractéristique
qui différencie son approche des deux autres, fait venir un cheval dans la
galerie et clôture le processus biotech qui avait commencé dans un univers de
laboratoire médical par une expérience éthologique. Il est intéressant de noter
ici que cette performance intègre dans la représentation artistique l’imprévisibilité de l’animal qui, même
s’il est dressé, peut à tout moment réagir de manière inattendue. Le public,
imprévisible lui aussi, est ainsi de
facto confronté aux options de comportements propres à l’animal qui peut
potentiellement (re)devenir sauvage [24].
De manière évidente, l’altération par la machine, le cyborg, ou
l’auto-métamorphose artificielle, n’est pas la même chose que l’altération mise
en œuvre dans la performance qui nous intéresse ici.
C’est aussi l’intentionnalité des artistes quant
à leurs créations qui donne sens à leur travail : « Si l’on reprend
la terminologie du post-humain, être
humain au-delà de l’humain, c’est peut-être en passer par ce type d’expérience,
dans laquelle l’homme devenant un hybride homme/animal est enfin extrahumain,
au sens de hors-humain » [25].
Et si la proposition d’AOO était ici
d’élargir l’éventail des significations que nous attribuons à la notion de
post-humain, d’imaginer par conséquent un être méta-humain plus en accord avec
son environnement, qui utiliserait ses savoirs technologiques pour se guérir et
s’ouvrir à l’altérité de l’autre ?
De l’humain à l’animal dans la
création
On disait en Grèce
antique que certains hommes étaient si proches de leurs chevaux qu’ils avaient
fini par s’unir à eux pour devenir un seul être, hybride, chimérique, double,
avec un corps de cheval et un buste d’homme : le centaure. À l’origine de
diverses fantasmagories mêlant puissance équine et domination humaine, le
centaure a par la suite été décrit dans toute la mythologie grecque comme un
être brutal, hostile à l’homme et capable de tout détruire. Mais il existe un
centaure différent des autres : Chiron. Il est lui aussi un être hybride homme-cheval, mais
contrairement à ses semblables, il n’est pas fils d’Ixion et d’une nuée, il est
l’enfant du titan Kronos et de la nymphe océanide Philyra. Cet être – dont
le père est aussi celui des dieux de l’Olympe – se distingue ainsi des
autres centaures par sa sagesse divine. Il est présent dans plusieurs mythes et
les écrits de diverses époques (Pindare, Hésiode, Homère, etc.) et il pourrait
être perçu comme l’exception qui confirme la règle en ce qui concerne la
symbolique du centaure dans le monde grec : alors que le centaure
symbolise d’habitude la violence et la cruauté, Chiron, lui, personnifie le
lien entre la nature et la culture, il est celui qui transmet par ses
enseignements la connaissance des éléments de la nature afin de développer la
civilisation. Ses savoirs magico-thérapeutiques (il connaît mieux que quiconque
les bienfaits des plantes), astronomiques et philosophiques sont précieux et
reconnus dans toute l’Antiquité grecque. Il habite une grotte où il accueille
ses élèves qu’il adopte comme s’ils étaient ses enfants, c’est-à-dire qu’il
leur transmet à la fois savoir-faire et savoir-être. Parmi les plus connus on
trouve Achille à qui il apprend la musique et la chasse, Asclépios qui suite à
son enseignement devient le « père de la médecine », Aristeos à qui
il apprend à lire dans les étoiles et qui devient prophète, et Héraclès, héros
par excellence de la force alliée à l’intelligence et au courage. Chiron le
sage est en effet une sorte d’archétype donnant sens à la question de la
connaissance et de la recherche, une connaissance divine qu’il ne transmet qu’à
très peu de mortels ou de mi-hommes/mi-dieux méticuleusement choisis en
fonction de leurs origines. Son rôle de défenseur de la connaissance devient d’autant
plus évident quand on sait qu’une fois blessé, il échangea son immortalité contre
la libération de Prométhée. Ainsi, pour exprimer l’importance de la
connaissance, de la culture, de la thérapie et de la pensée, la mythologie
grecque choisit comme voie d’accès le symbole qui a priori semble s’y opposer le plus : l’Autre, qui est à la
fois mi-animal/mi-humain et, paradoxalement, mi-immortel/mi-mortel.
Que
le cheval vive en moi !
met aussi en œuvre un paradoxe, un dépassement similaire des frontières
communément admises et cette expérience pourrait être conçue comme une
« réincarnation » contemporaine du mythe de Chiron à plusieurs
niveaux. La question des rapports homme-animal se pose en effet dès les
premiers dessins dans les cavernes préhistoriques, elle traverse la mythologie
grecque et se retrouve ensuite à plusieurs moments de la création humaine et de
l’histoire de l’art, en passant du Jardin
des délices de Bosch, aux oiseaux de Mozart et de Messiaen, du surréalisme
de Dali à l’arte povera et de Joseph
Beuys au body art jusqu’à Damien Hirst, voire même Jeff Koons, sans oublier la
littérature et le cinéma de science-fiction. Mais il y a aujourd’hui dans cet art
scientifique quelque chose d’effectivement nouveau : l’hybridation trans-spécifique y est réelle, charnelle.
Cette performance artistique, à la confluence
du bioart et du body art, est ainsi une expérience d’hybridation troublante,
qui met en place une esthétique du dépassement de la limite la plus extrême. Le
fait que, comme l’écrit Paul Ricœur, l’identité ou « l’ipséité du soi-même
implique l’altérité à un degré si intime que l’une ne se laisse pas penser sans
l’autre » [26]
est-il ici poussé à l’extrême, à la manière d’un jeu, ou l’intentionnalité des
artistes est-elle différente ? S’agit-il d’un projet qui tout
« simplement » consiste à se jouer des limites ou plutôt de la
manière la plus sincère possible d’interroger l’altérité ? Et si – la
question de l’autre animal étant l’extrême par excellence – AOO en était arrivé
naturellement à cette expérience aussi bordeline
que possible ?
« Appréhender l’essence animale par
l’incorporation », qu’est-ce que cela signifie au juste ? Commencer
par le corps, par l’intime, l’intérieur, le plus profondément soi pour aller
vers l’autre ? Mais que signifie ressentir une autre corporéité – qui
de surcroît est non humaine – dans son propre corps ? L’expérience
ressemble-t-elle à l’« incomparable perception d’une dualité d’existence
dont [une femme est] intimement le siège » [27]
lorsqu’elle est enceinte ?
Quelles sont les modifications de la
conscience, du corps, de l’image corporelle réellement ressenties par l’artiste
et quelle est leur signification au-delà de son expérience vécue ? En
d’autres termes, comment pourrait-elle partager et transmettre ce vécu si singulier
et a priori unique au monde ? Marion Laval-Jeantet explique que pendant le
temps qu’elle hébergea en elle le cheval c’était l’anarchie, elle a vécu,
dit-elle, à la fois avec la peur et la puissance terribles de l’animal
mythique. Comme une guerre entre l’Homme et la nature qui se faisait au sein de
son propre corps [28].
Cette immersion de l’autre en elle prend comme point de départ les exploits de
la médecine contemporaine en questionnant les possibilités du corps humain pour
aboutir à l’une des dimensions essentielles du projet artistique élaboré par le
duo depuis 1991 : « Ces expériences n’ont d’autre but pour moi
que d’arriver à une altération de la
notion de l’Autre, que de donner une réalité incarnée à la fragilité de la
notion de barrière interspécifique » [29].
L’expérimentation est ici auto-expérimentation et « autoplastique » [30].
En effet l’artiste elle-même devient
autre. L’auto-hybridation est réalisée par un passage à l’acte.
Toute rencontre – que ce soit avec
l’amour, l’art, les idées, etc. – est une rencontre avec un autre et qu’elle soit
« réussie » ou non, elle devient l’occasion d’une prise de conscience
de nos propres limites et de leur flexibilité éventuelle. La particularité dans
la rencontre qui nous intéresse ici est que l’objectif de l’artiste consiste avant
tout à prendre conscience des limites de son corps biologique pour ensuite
passer de la chair aux idées. Si le corps est ce qui nous fait signe de la
rencontre que nous sommes en train de vivre, d’un passage d’une situation à une autre – par le biais de diverses
émotions (félicité, dégoût, joie, ivresse, jouissance, douleur, etc.) –,
il devient alors le passage d’un mode d’être à un autre mais aussi d’un monde
(ici équin) à un autre (ici humain). Il n’est cependant pas tant question ici d’ouverture
à l’autre que d’enserrement de celui-ci, du moins dans un premier temps.
Marion Laval-Jeantet s’auto-crée ainsi un double corporel : « Que se
passera-t-il quand ce double de plus que je vais m’infliger sera, de surcroit,
animal ? J’ai l’intime conviction que seule l’expérience corporelle peut
permettre d’intégrer cette notion sans entraîner de dissociation mentale. Tout
comme la plante ingérée dans les sociétés chamaniques permet d’intégrer son
totem, son double tutélaire » [31].
Comme s’il était question, non pas de dépasser mais de développer sa conception
de la barrière des espèces, d’entrer « dans le sentiment animal », d’éprouver
le monde à travers la nature équine. D’essayer en d’autres termes de voir le
monde avec un regard qui n’est plus ni spécifiquement, ni uniquement humain.
S’agit-il d’une réflexion critique sur
l’anthropocentrisme si décrié par tous les défenseurs de la cause
animale ? Les artistes affirment que oui. Or, ce fameux
« point de vue anthropocentrique » est-il altérable à partir du
moment où notre
regard sera toujours un regard humain ? Et même si ce regard est altéré,
augmenté, modifié, métamorphosé, rendu hybride, son centre, son intentionnalité,
sa source, « l’œil et l’esprit » seront toujours avant tout humains
dans l’humanité.
L’une
des réponses d’AOO à cette question consiste à adopter la position radicale et
audacieuse qui consiste à se faire cobayes humains comme les animaux de laboratoire [32].
Sauf que les animaux de laboratoire ou les animaux plastinés par Damien Hirst,
eux, n’avaient pas le choix…
Cette extension de la connaissance et de
l’expérience du monde, ce passage de l’impossible au possible que représente la
performance d’AOO – et parce que Marion Laval-Jeantet s’instrumentalise elle-même
au profit de l’animal – critique malgré tout, chemin faisant, toutes
les approches de l’animal de laboratoire, de l’animal de consommation, de la
culture de tissu censée remplacer la viande d’élevage mais qui nécessite
toujours de tuer les animaux [33] et aussi
toutes les autres approches qui reviennent systématiquement à présenter
« une conception instrumentalisée de l’animal au profit d’une humanité
dépensière de chair vivante » [34].
Performance et réception
Il est des choses que l’art seul peut dire,
montrer ou proposer, peut-il pour autant les transmettre ? « L’art
existe pour élargir les limites de la conscience », les artistes d’AOO partent
de ce postulat pour expérimenter la pensée par le corps ou par la peau. Ils
utilisent par conséquent des modes de communication non verbale et des symboles
forts afin d’enrichir leur être au monde en dépassant les limites généralement
admises pour les rapports intersubjectifs. Ils tentent ainsi à travers leurs
expériences de comprendre l’Autre : cet Autre peut aussi bien être la mort
ou l’invisible, la peur ou l’animal. En réalité il s’agit de sortir des
enveloppes charnelles humaines pour s’ouvrir
à l’inconnu, qui parfois n’est pas si étranger qu’il y paraît.
L’univers que crée la performance Que le cheval vive en moi ! par le
biais d’un mélange créatif de l’un à
l’autre qui « fonctionne » – puisque finalement les éléments
du sang équin sont acceptés par le corps humain sans provoquer de choc anaphylactique –
est celui de l’incorporation. Il est impossible ici de ne pas faire de
transfert [35], de ne
pas se mettre à la place de Marion Laval-Jeantet – ou de cancéreux en
phase terminale qui, dans le cadre de recherches et n’ayant plus grand chose à
perdre, ont recours à des transfusions de sang animal dans l’espoir d’améliorer
leur système immunitaire. Il est aussi impossible, pour qui a pris conscience
de cette possibilité d’hybridation, de ne pas réinterroger son propre
rapport – biologique, corporel et émotionnel – à l’animal. Cette
expérience n’a en effet rien à voir avec le désir de voler comme un oiseau ou
le rêve du plongeur de devenir poisson, dauphin ou sirène.
La question de savoir quelle est la frontière
réelle entre les espèces – ou plutôt quels sont les différents niveaux de ces
frontières finalement multiples et irréductibles à « une » seule
« barrière » interspécifique – devient ainsi inévitable. Il ne
s’agit évidemment pas d’oublier les barrières interspécifiques – un chat
ne peut engendrer une souris –, mais plutôt de les reconsidérer en ayant à
l’esprit un questionnement sur l’autonomie et l’interdépendance des êtres
vivants. Parce que si l’identité du génome et l’adaptabilité biologique ne
signifient pas que nous soyons tous identiques
ou égaux, elle suffit pourtant à remettre en question le degré de parenté entre
les espèces et à provoquer l’angoisse existentielle que suscitent les
possibilités de cette parenté découverte par les sciences.
AOO réalise ainsi une fois de plus une œuvre « active », puisque l’objectif est
d’éveiller la conscience de ceux qui découvrent son travail, de responsabiliser
par l’expérience esthétique, de créer des alarmes artistiques sur nos modes de
vie. La réalisation effective de ce projet de transfusion sanguine – l’existence immanente de Marion Laval-Jeantet
devenue hybride – ne peut de manière plus générale que nous pousser à une
réelle remise en question face au déploiement des possibles de notre corps,
mais aussi à une prise de conscience du rapport entre notre perception de la
corporéité et notre conception du monde. Or, le plus curieux dans ce processus
est notre capacité à fantasmer sur les pulsions équines que l’artiste a
ressenties, comme si finalement le « mérite » de la réalisation
effective du projet était d’avoir (re)créé un symbole. Il y a ainsi un lien
d’empathie impossible à nier qui se crée entre nous et les artistes, nous et
l’animal.
Cette expérience modifie-t-elle
notre vision de l’art ? Est-elle, justement par sa sincérité, son jeu et son
audace, de l’art avec un grand A ? Ce qui ici fait œuvre est
l’articulation du concret visible et médical (le dispositif, la galerie, la
mise en scène de la performance à la manière d’une cérémonie scientifique) avec
l’imaginaire le plus fantasmagorique [36],
c’est l’ouverture inévitable aux questionnements radicaux que suscite cette
performance, c’est l’égarement philosophique que crée la réalisation de
l’inimaginable, un déploiement des possibles alarmant qui rappelle en même
temps ce que disait Herbert Marcuse à propos de l’art, à savoir, qu’il
« ne survit que là où il se nie, là où il sauve sa substance en niant sa
forme traditionnelle et par là en niant la réconciliation ; là où il
devient surréaliste et atonal » [37].
Penser l’animal dans une
rencontre incarnée :
un art qui fait rhizome
Dans un premier temps, il y a le mouvement
dialectique propre à la performance : « Le commencement est à la fin
et la fin au commencement » [38].
Il s’agit en effet d’un travail sur le devenir :
devenir autre, devenir mutant, devenir animal, ou devenir monstre. On pourrait
évoquer ici la théorie des devenirs développée par Gilles Deleuze et Félix
Guattari : « devenir-animal », « devenir-minoritaire »,
« devenir-moléculaire », etc. [39]. Dans
son évocation des possibilités technologiques Que le cheval vive en moi ! conjoint ainsi une approche à la
fois extrêmement réaliste et purement fantastique où « le Même peut être
concerné par l’Autre sans que l’Autre s’assimile au Même » [40]. Puisqu’en
effet le cheval n’est pas devenu plus humain après cette expérience. Le « troisième
autre » – le résultat de la création, de l’hybridation, c’est-à-dire
Marion Laval-Jeantet devenue centaure –
n’est pas forcément assimilable au Même ou à l’Autre, mais les porte tous deux
toujours en soi. ainsi les
réalités se renvoient-elles les unes aux autres et elles se complètent. Il
s’agit en somme de la proposition d’un
méta-soma anthropomorphe ou zoomorphe à partir de l’hybridation des sangs
humain et animal qui met en œuvre des dispositifs biotechnologiques extrêmement
complexes. Autrement dit, l’objectif n’est pas ici d’imiter ou de dépasser la
nature mais plutôt de la prolonger.
Les modifications et les métamorphoses corporelles –
rituelles, thérapeutiques, décoratives ou expérimentales – ne sont pas
récentes. Il faut en effet les concevoir dans la continuité des techniques du
corps, qu’elles soient traditionnelles ou modernes – médicales,
symboliques, esthétiques, ou autres : tatouages, piercings, lèvres à
plateaux, cous étirés, crânes allongés, cultes des petits pieds, incrustations,
incisions, circoncisions, excisions, clitoridectomies, teintures, arrachage ou
limage des dents, etc.) [41].
Cette performance d’AOO provoque de toute évidence la réflexion parce que les
artistes jouent – par le truchement d’une pratique transgressive,
provocatrice et surprenante – un
rôle de passeurs entre le grand public, les laboratoires scientifiques et
les lieux de la « haute » culture de l’art contemporain. On comprend mieux maintenant pourquoi
Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin, plutôt que de choquer en jouant sur la
provocation, ont préféré poser le plus complètement et le plus sincèrement
possible la question de l’altérité et de l’altération, celle du déploiement des
possibles de la corporéité contemporaine.
Cette performance d’auto-métamorphose, de
dédoublement corporel, apparaît à la fois comme un rite de passage cathartique
et comme une proposition pour de nouvelles formes de vie. Par le biais de cette
réalisation les artistes font-ils advenir un autre monde possible ? Ils
évoquent en tous cas des modes de devenir
autre à partir desquels surgissent de nouveaux
modes d’être. En mettant ainsi en place une expérience esthétique originale
du corps en devenir on peut estimer
que les artistes ont contribué à l’invention d’une nouvelle corporéité [42]
qui signe le passage des esthétiques aux
poïétiques du corps puisque cette expérience dévoile des horizons
insoupçonnés du corps : nos limites sont moins étanches que nous le
croyons. Il s’agit alors d’un art qui ne témoigne pas de ce qui a été mais qui élargit
l’horizon de ce qui pourrait advenir.
Or, même si cette expérience d’AOO est une
preuve supplémentaire de la capacité de l’art de créer des liens entre univers a priori étrangers, le cheval n’en est
pas devenu plus humain pour autant. Autrement dit, si les artistes avaient pu
se procurer du sang de panda et si ce sang avait été aussi adaptable à la
nature humaine que celui du cheval, cette performance aurait-elle contribué à
la survie du panda en voie de disparition ? N’est-ce pas par conséquent une
vision anthropocentrique que de vouloir endosser la nature animale ? Et
surtout, pourrait-il de quelque manière que ce soit en être autrement étant
donné que l’incorporation de l’animal reste, malgré tout, humaine ?
Concernant la confrontation de cette
expérience artistique avec la théorie de Deleuze et Guattari sur le devenir animal, on peut noter quelques
points importants qui justifient l’expression que j’utilise de devenir animal partiel. Il y a en effet à
la fois des congruences rares entre les deux démarches et des divergences
importantes :
-
Nous ne
sommes pas au même niveau. En effet, le devenir animal deleuzien est finalement
bien moins biologique que ne l’est l’expérience que réalise AOO.
-
Il n’est
pas question du même type de « contrat » interspécifique. Les auteurs
de Mille plateaux se réfèrent en
effet à l’instauration d’un pacte, d’une alliance : « La guêpe devient
partie de l’appareil de reproduction de l’orchidée, [comme] l’orchidée devient
organe sexuel pour la guêpe. [Il y est donc question d’un] seul et même
devenir, un seul bloc de devenir » [43].
Or, dans la performance qui nous intéresse ici il n’est pas question de
devenir-animal dans une réciprocité quelle qu’elle soit. C’est l’artiste qui
est débordée par la nature équine de manière rhizomatique, comme « l’herbe
déborde », il n’y a pas d’échange entre deux, trois ou dix entités mais un
glissement de l’être du cheval dans l’être de l’artiste. Cette expérience n’est
pas une dialectique entre le devenir animal de l’homme et le devenir humain de
l’animal mais un chemin, une ligne de fuite,
vers le re-devenir-animal de l’humain.
-
Deleuze
et Guattari expliquent qu’il est question d’une « circulation d’affects
impersonnels, […] une irrésistible déterritorialisation » [44].
Or, il n’y a que l’artiste qui pourrait nous dire si, lors de l’expérience
éthologique qui a suivi la transfusion sanguine, elle a ressenti, en raison de
celle-ci, une réciprocité particulière avec le cheval. L’artiste a expliqué que
ce qui a eu lieu n’était « pas une modification de sa perception du cheval
mais de la perception de soi comme animal » [45].
Ce qui de manière étrange est également valable pour celui qui prend
connaissance de cette expérience : le déploiement des possibles nous
déterritorialise, qu’on le veuille ou non.
Il ne s’agit donc pas de penser cette
expérience uniquement dans le cadre du devenir-animal qui en effet est ici partiel – ce qui est déjà assez
impressionnant –, mais plutôt dans la perspective d’un devenir autre rhizomatique – qui à
la fois contient des éléments du concept et l’enrichit en y apportant des
éléments nouveaux. Reste à savoir quel est l’impact de l’incarnation de
l’animal sur la pensée. L’artiste donne une première réponse à cette question par
l’exemple de la modification de notre état mental que suscite une simple
grippe : « Les scientifiques savent que le corps vous agit aussi
comme pensée »[46].
De
facto le corps est l’une des
figures par excellence de l’inattendu, il fait – constamment – rhizome
par lui même, il « part dans tous les sens » ; la démarche de
recherche qui tente de penser cette expérience ne peut donc pas se contenter de
discours mais doit essayer d’adopter le même mouvement rhizomatique. C’est en
ce sens que cette performance est une exploration, une mise en perspective de
l’infinité des possibles de la question animale, parce qu’en engageant une
situation nouvelle, elle nous propose, quoi qu’il en soit, un devenir animal partiel possible. «Une
incorporation du sens » qui donne à penser une pensée par le corps.
Il
est possible que la vision de l’artiste soit juste, que nous ne nous soucierons
réellement du sort de l’Autre que dans la mesure où nous en aurons besoin pour
survivre, notamment parce que « le
véritable fait fondamental, dans l’ordre de l’esprit comme dans l’ordre de la
vie, c’est le fait de “durer” » [47]… Peut-être
que la preuve charnelle et immanente de cette possibilité peut déjà nous
inciter à commencer à le penser autrement…
Sofia
Eliza Bouratsis
Doctorante en Esthétique et
Sciences de l’art à l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne
Institut ACTE (UMR 8218) –
Æsthetica
Projet de thèse soutenu par
le Fonds National de la Recherche, Luxembourg
Publications
Édition
Prétentaine, n° 27/28 (« Quel
Penser ? Arguments, inventions, transgressions »), sous la direction
de Sofia Eliza Bouratsis, printemps 2011.
Présence
de Vladimir Jankélévitch. Le charme et l’occasion. Textes et entretiens,
Paris, Beauchesne, « Prétentaine », sous la direction de Françoise
Schwab, avec la collaboration de Sofia Eliza Bouratsis et Jean-Marie Brohm, novembre 2010.
Prétentaine, n° 25/26, (« Modes
de penser. Actes, formes, objets »), sous la direction de Sofia Eliza
Bouratsis, juin 2009.
Articles de
recherche
- « Auto-métamorphoses.
Biotechnologies et fictions scientifiques dans l’art contemporain », Cahiers de recherche sociologique (Université du Québec à Montréal), n° 50,
(« L’art
posthumain. L’identité humaine en débat »), sous la direction de
Magali Uhl, printemps 2011.
- « Un
prologue qui se prolonge… », Prétentaine,
n° 27/28 (« Quel Penser ? Arguments, inventions,
transgressions »), printemps 2011.
- « Spinoza
en débat », avec Jean-Marie Brohm, Prétentaine,
n° 27/28 (« Quel Penser ? Arguments, inventions,
transgressions »), printemps 2011.
- « Quelles
idéologies du corps dans le bioart ? Transgressions et
hybridations », Prétentaine,
n° 27/28 (« Quel Penser ? Arguments, inventions,
transgressions »), sous la direction de Sofia Eliza Bouratsis, printemps 2011.
- « Présence de Vladimir
Jankélévitch », en collaboration avec Jean-Marie Brohm et Françoise Schwab,
Présence de Vladimir Jankélévitch. Le charme et l’occasion. Textes et entretiens, Paris, Beauchesne, « Prétentaine », sous la direction de
Françoise Schwab, avec la collaboration de Sofia Eliza Bouratsis et Jean-Marie
Brohm, novembre 2010.
- Entretien avec
Edgar Morin, « Chemins dans la noosphère » (en coll. avec Jean-Marie
Brohm), Prétentaine, n° 25/26 (« Modes de penser. Actes,
formes, objets »), juin 2009.
- « La photographie est-elle un mode de
penser ? Images du temps et de l’espace », Prétentaine, n° 25/26, (« Modes de penser. Actes, formes,
objets »), , juin 2009.
- « Un OVNI dans ma vie » (sur Second Life, l’« objet virtuel non
identifié »), Mortibus n° 7/8,
(« Gagner sa vie a-t-il un sens ? »), automne 2008.
Articles sur
l’art/Catalogues/expositions
- « Pourquoi
rien ? Plutôt que tout…Art,
environnement et responsabilité morale », Catalogue monographique du duo
artistique Art Orienté objet, Art Orienté
Objet 2001-2011. Laval-Jeantet & Mangin, CQFD Éditions, Montreuil, automne 2012.
- « Plutôt que tout : Art
Orienté objet » (présentation du projet et entretien avec les artistes),
Catalogue de l’exposition Plutôt que rien,
Centre d’art de la Maison Populaire de Montreuil, 2012.
- « Distant Voices », Texte de
présentation de l’exposition de l’artiste Su-Mei Tse à la galerie Tschudi à
Zuoz, en Suisse (22/12/2011-10/03/2012).
- « Une seule couleur vous manque et
le monde est dépeuplé ? », Texte accompagnant la pièce Tout sauf Rouge de Su-Mei Tse (2009)
pour l’exposition ci-dessus citée.
[1] Michel Henry, « Phénoménologie de
la vie », Prétentaine, n° 14/15,
(« Le Vivant »), décembre 2001, pp. 11-25.
[2] Vance Packard, L’Homme remodelé, Paris, Calmann-Lévy,
1978 ; Paul Ardenne, L’Image corps.
Figures de l’humain dans l’art du XX° siècle, Paris, Éditions du
regard, 2001 ; Henri Atlan, L’Utérus
artificiel, Paris, Éditions du Seuil, 2005 ; Denis Baron, La Chair mutante. Fabrique d’un posthumain, Paris, Éditions dis voir, 2008 ;
Jean Baudrillard, L’Échange impossible,
Paris, Galilée, 1999 ; Jean-Michel Besnier, Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ?,
Paris, Hachette, « Littératures Haute Tension », 2009 ; Bernard
Edelman, Ni Chose ni personne. Le corps
humain en question, Paris, Hermann éditeurs, « Philosophie »,
2009 ; Jérôme Goffette, Naissance de
l’anthropotechnie, Paris, Vrin, 2006 ; Jürgen Habermas, L’Avenir de la nature humaine. Vers un
eugénisme libéral ?, Paris, Gallimard, « Nrf essais », 2002 ; Donna Haraway, Simians, Cyborgs and Women. The Reinvention of Nature, New York,
Routledge, 1991 ; Michaël
Hayat, Arts assistés par machine et art contemporain. Vers une nouvelle
philosophie de l’art, Paris, L’Harmattan, 2002; Thierry Hoquet (dir.),
« Mutants », Critique, Tome
LXII – n° 709-710, juin-juillet 2206 ; Marc Jimenez (dir.), La Création artistique face aux nouvelles
technologies, Paris, Klincksiek, « l’Université des arts »,
2006 ; Céline Lafontaine, La Société
postmortelle. La Mort, l’individu et le lien social à l’ère des technosciences,
Paris, Éditions du Seuil, 2008 ; Dominique Lecourt, Humain, post-humain. La technique et la vie,
Paris, PUF, 2003 ; Louise Poissant et Ernestine Daubner (dir.), Art et biotechnologies, Québec, PUQ,
2005 ; Susan Rémi, Les Utopies posthumaines. Contre-culture,
cyberculture, culture du chaos, Sophia-Antipolis, Omniscience, 2005.
[3] Tout un chapitre assez détaillé est consacré
à cette performance dans le catalogue monographique du duo AOO, Art Orienté Objet 2001-2011. Laval-Jeantet
& Mangin, CQFD, 2012, pp. 240-269.
[4] « Endosser […] : 1-Mettre sur son
dos – revêtir […] ; 2-Prendre ou accepter la responsabilité
de –assumer, se charger de », Le
Petit Robert, 2011.
[5] Voir sur ces questions Anne Jeanblanc,
dossier spécial : (« L’homme autoréparable »), Le Point, n° 883, août 1989 ; Atta
Oloumi et Cristiane Holzey, dossier spécial : (« Révolution
médicale : L’homme bionique arrive ! »), Science et Vie, n° 927, décembre 1994 ; Le Monde, Hors-série :
(« L’Évolution. Quelle histoire ! »), avril-mai 2009.
[6] Jean-Yves Nau, « La naissance
annoncée des premiers clones humains »,
Le Monde, 25 mai 2002.
[7] Art
Orienté Objet 2001-2011. Laval-Jeantet & Mangin, op. cit., p. 268.
[8] Marion Laval-Jeantet, « De
l’incorporation du sens », Cahiers de
recherche sociologique (Université
du Québec à Montréal), n° 50, (« L’art
posthumain. L’identité humaine en débat »), sous
la direction de Magali Uhl, printemps 2011, p. 27.
[9] Sur les
liens avec les animaux, on pourrait citer presque tout le travail d’AOO, mais
par rapport à l’expérience qui nous intéresse ici voir notamment les œuvres
décrites dans les catalogues monographiques du duo : Roadkill Coat (avec un texte d’AOO), in Laval-Jeantet & Mangin, Art Orienté
objet 1991-2002, op. cit., pp. 160-163 ; Le voyage en
Iboga (avec un texte d’AOO), in Art
Orienté Objet 2001-2011. Laval-Jeantet & Mangin, op. cit., pp. 34-49 ; et La Mazzera (le
lien, ça pèse trois tonnes), « Habiter, l’extrême, être habité par
l’extrême » (avec un texte de Stéphane Dumas), ibid., pp. 183-188.
[10] Si la plupart des éléments équins ont été
évacués par l’organisme de l’artiste, il reste tout de même des marqueurs
allergiques qui peuvent s’exprimer à tout moment.
[11] Marion Laval-Jeantet, Art Orienté Objet 2001-2011. Laval-Jeantet & Mangin, op. cit., pp. 263-264.
[12] Marion Laval-Jeantet, « De
l’incorporation du sens », op. cit.,
p. 28.
[13]Art
Orienté Objet 2001-2011. Laval-Jeantet & Mangin, op. cit.,
p. 267.
[14] Georges Bataille, L’Expérience intérieure, Paris, Gallimard, « Tel », 2004,
p. 77.
[15] Jean-Marie Brohm, Anthropologie de l’étrange. Énigmes, mystères, réalités insolites,
Cabris, Sulliver, « Essai », 2010, pp. 119-166.
[16] Voir, entre autres, le
laboratoire de recherche scientifico-artistique SymbioticA créé à l’Université
de Perth en Australie par Oron Catts et Ionat Zurr, The Tissue Culture&Art project (TC&A).
[17] Jens Hauser, « Gènes, génies,
gênes », L’Art biotech’,
Trézélan, Filigranes Éditions, 2003, p. 9.
[18] « Du point de vue de l’esthétique »
nécessiterait un développement en soi qui n’est pas l’objet de cet article. Je
me permets seulement de souligner qu’il y a expérience
esthétique – expérience des sens – dans les œuvres d’AOO,
c’est-à-dire qu’il y a toujours quelque chose à voir, qu’il y a des références à l’histoire de l’art et, surtout,
qu’il y a poésie.
[19] Marion Laval-Jeantet, « Des artistes
immergés dans des terrains menacés/menaçants », Veilleurs du monde 2. Art et environnement, Montreuil-Sous-Bois,
Éditions CQFD et Centre Culturel Français Blaise-Cendars, 2009.
[20] Voir
Le voyage en Iboga, (2002-2003), in Art Orienté Objet 2001-2011. Laval-Jeantet & Mangin, op. cit., pp. 34-51 ; voir aussi Tombée
dans le Disulba ou le Lit des Visions (2012-2013), créé et montré dans le cadre de l’exposition Sous
influences, arts plastiques et psychotropes, qui a eu lieu à la Maison
Rouge à Paris du 15 février au 19 mai 2013 (commissaire de l’exposition Antoine
Perpère).
[21] « Plutôt que tout », entretien avec
Art Orienté objet (propos recueillis par Sofia Eliza Bouratsis), Plutôt que rien, Montreuil, Centre d’art
de la Maison Populaire de Montreuil, 2011, p. 113.
[22] Citation tirée du texte
« Obsolete body » qui figurait sur le site personnel officiel de
Stelarc et qui au moment de l’écriture de ce texte n’y est plus.
[23] Julia Reodica, « Feel Me, Touch
Me : the hymNext Project »,
in sk-interfaces, Exploding Borders – Creating
membranes in art, technology and society (sous la direction de Jens
Hauser), Liverpool, Liverpool University Press, 2008, p. 73. Il s’agit de ma
propre traduction de l’anglais.
[24] Cette dimension fondamentale de l’intégration
de l’animal vivant dans la performance artistique est mise en évidence dans
l’excellent numéro (« Animalités ») de la revue Inter. Art Actuel, n° 113, hiver-printemps 2013, notamment dans
l’article d’Helge Meyer, « Les animaux dans la performance », pp.
6-11.
[25] Marion Laval-Jeantet, « De
l’incorporation du sens », op. cit.,
p. 29.
[26] Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Éditions du Seuil, « Points
essais », 1990, p. 14.
[27] Voir Edmée Mottini-Coulon, Essai d’ontologie spécifiquement féminine, Paris, Vrin, 1978, qui
conclut que le rapport à autrui féminin est spécifique « parce que son
être est, ontologiquement, être-pour autrui » (p. 26). L’auteure part de
l’expérience privilégiée de la maternité « éprouvée dans sa première
manifestation perçue, celle du fœtus “qui bouge” » (p. 51). Elle analyse
l’expérience féminine d’autrui en s’appuyant sur la conscience du cogito qui
s’élargit du fait de « l’édification d’un être » au plus profond de
soi : « J’éprouve autrui “avec” moi et moi-même tout à la fois, dans
une certitude vécue, puissante, symbiotique et peut-être sympsychique, à
supposer la pensée de l’embryon déjà réelle bien qu’inconsciente, évidemment.
Cette expérience d’intériorité élargissante m’apporte autrui, c’est-à-dire mon
semblable et mon autre et mon différent, de l’intérieur de moi-même » (p.
59).
[28] Communication de l’artiste.
[29] Marion Laval-Jeantet, « De l’incorporation
du sens », op. cit., p. 23.
[30] Bruno Bettelheim, Les Blessures symboliques. Essai d’interprétation des rites
d’initiation, Paris, Gallimard, « Tel », 1977, p. 55.
[31] Art
Orienté Objet 2001-2011. Laval-Jeantet & Mangin, op. cit., p. 261.
[32] Voir notamment le projet Culture de peaux d’artistes réalisé par
AOO en 1996 aux États-Unis. Ce projet met en évidence l’éthique des artistes
qui consiste à ne « se manipuler qu’eux-mêmes ». Pour ce faire ils
ont intégré comme cobayes, par le biais d’un groupe antivivisection, un
laboratoire de biotechnologie de pointe et ont ainsi réalisé la culture de
leurs propres peaux comme objets d’art « opératoires ». Lire à ce
sujet le texte de Marion Laval-Jeantet, « Les Cultures de peaux d’artistes
d’Art Orienté objet », in L’Art
biotech’, op. cit., pp. 56-62.
[33] Il est désormais connu que pour toute culture
biotechnologique, de peau ou de viande, il est nécessaire d’utiliser du sérum
de veau fœtal, qui doit impérativement être prélevé sur les vaches qui sont en
gestation au moment de l’abattage. Cruelle pratique dont fait état Élisabeth
Abergel dans son article « Animal in
vitro ou la vie sans la mort » dans le présent numéro de Prétentaine.
[34] Art
Orienté Objet 2001-2011. Laval-Jeantet & Mangin, op. cit., p. 248.
[35] Georges Devereux, De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement,
Paris, Flammarion, 1980.
[36] Voir les travaux de Louis-Vincent Thomas, en
particulier Fantasmes au quotidien,
Paris, Librairie des Méridiens, 1984 ; Anthropologie
des obsessions, Paris, L’Harmattan, 1988, notamment le chapitre 3 :
« L’animal et nos peurs ».
[37] Herbert
Marcuse, Éros et civilisation, Paris,
Les Éditions de Minuit, « Arguments », 1963, p. 132.
[38] Jean-Marie Brohm, Les Principes de la dialectique, Paris, Les Éditions de la Passion,
2003, p. 18.
[39] Voir
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Les Éditions de
Minuit, 1980.
[40] Emmanuel Levinas, De Dieu qui vient à l’idée, Paris, Vrin, 1992, p. 32.
[41] Voir Victoria Ebin, Corps décorés, Paris, Chêne, 1979 ; Boris de Rachewiltz, Éros noir. Mœurs sexuelles de l’Afrique de
la préhistoire à nos jours, Paris, Terrain Vague, 1993.
[42] Chaque période historique invente ses
formes corporelles, aussi bien dans le domaine artistique que dans l’ordre des
représentations sociales, religieuses, politiques, etc. Voir Nadeije
Laneyrie-Dagen, L’Invention du corps. La
représentation de l’homme du Moyen Âge à la fin du XIX° siècle,
Paris, Flammarion, « Histoire », 2006.
[43] Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, « Champs »,
1996, p. 9.
[44] Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux,
op. cit., p. 285.
[45] Intervention de l’artiste lors de la journée
« L’humain débordé. Incorporations » qui a eu lieu à Paris au Palais
de Tokyo le 17 juin 2013 (http://www.palaisdetokyo.com/fr/rencontre/seminaires/incorporations).
[46] Ibid.
[47] Vladimir Jankélévitch, Henri Bergson, Paris, PUF, « Quadrige-Grands textes »,
2011, p. 7.